A Lamastre l'insolite par Pierre BRUN

 

C'est

  1. statue qui déambule,
  2. cimetières : un catholique, un protestant,
  3. rues portant les noms de 3 Francs-Maçons,
  4. 4 fontaines à tête de chien qui gardent la cité,
  5. lieux du culte,
  6. ponts sur le Doux et ses affluents,
  7. en l'an 7 de la République (1799) que naît la " commune de Lamastre une et indivisible ", fusion des anciennes communes de Macheville, Retourtour et La Mastre,
  8. châteaux,
  9. communes dans le canton,

      et aussi... 170 noms de soldats de la guerre de 1914-1918 inscrits sur le Monument aux Morts, alors que les registres de l'Etat civil de Lamastre n'en mentionnent que 112...

 

Eglise de Monteil

Détail de chapiteau

        Soyez attentif, ô lecteur épris de mystères :

        1 statue : en 1942, le buste en bronze de Charles Seignobos fut déplacé par les Résistants pour échapper à la fonte à laquelle le destinait l'armée allemande... il resta enterré plus de 2 ans avant de retrouver sa situation première. A nouveau, en 1992, et ce pour raison d'agencement du centre ville, il s'est rapproché ostensiblement de la Mairie !

Charles Seignobos (1822-1892), illustre enfant du canton, député en 1871, contribua à fonder la 3ème République ; son action politique permit l'essor économique de Lamastre.

        2 cimetières : chacun peut choisir selon ses convictions !

        3 rues ; avenue Boissy d'Anglas, rue Désiré Bancel, rue Jules Ferry.

            François Antoine Boissy d'Anglas (1756-1826), fils du médecin lamastrois Antoine Boissy, fut député du Tiers Etat, président de la Convention ; en raison de l'Edit de Tolérance accordé par Louis XVI en 1787, il vota contre la mort du Roi ; cet homme intègre traversa sans démériter la difficile période révolutionnaire avant d'être nommé Pair de France par Napoléon 1er.

            Estimant les principes de Liberté supérieurs aux diverses formes de gouvernement, il élabora le décret de 1795 sur le libre exercice de tous les cultes, appliqué, hélas, beaucoup plus tard.

Initié à Paris, il visita régulièrement la Loge d'Annonay " La Vraie Vertu ".

            Désiré Bancel (1822-1871), né à Lamastre, au lieu-dit La Garde, fut un fervent Républicain ; ami de                  Gambetta et Victor Hugo, il s'opposa à la politique de Napoléon III, et fut condamné à l'exil. Ce brillant orateur fréquenta la Loge " L'Humanité de la Drôme ", à Valence ; pendant sa courte vie, il défendit l'Ecole, source de tolérance : " Aimons-nous sur ces bancs de bois où règne l'égalité. Soyons frères dans l'école, afin de l'être dans la vie et dans la mort " écrivait-il, prévoyant ce que Jules Ferry allait réaliser peu après en dotant la France en 1881-82 d'un enseignement primaire à la fois gratuit, obligatoire et laïque. Furent aussi Francs-Maçons de bons chrétiens comme les frères Montgolfier (dont une place de Lamastre porte le nom), membres de la Loge " La Vraie Vertue " à Annonay,,, A la même époque, en 1787, l'Abbé Louis Félix Constantin, Prieur de Gilhoc, faisait partie de la Loge " La Paix " à Montélimar.

        4 fontaines : jadis, un Compagnon du Devoir Tailleur de pierre, voulant concrétiser un symbole de protection de la Cité, érigea sur les fontaines situées dans le pourtour de Lamastre des statues représentant un chien. De ces représentations zoomorphes placées le long des voies qui convergent sur le bourg, une subsiste déjà marquée par les outrages du temps, 2 kilomètres avant Le Crestet ; l'autre,
rénovée, est à mi-chemin entre Lamastre et Saint-Barthélemy-Grozon.

        5 lieux du culte : de tous temps les Lamastrois, à l'image des hommes illustres nés dans le canton, ont fait preuve de personnalité assortie d'une grande liberté de pensée et de foi, individualisant leurs convictions par la construction de plusieurs lieux de cultes. Sur la colline inspirée de Macheville, certainement haut lieu du culte solaire à l'époque gallo-romaine, s'élève l'Eglise dont les fondements s'insèrent dans l'architecture romane du Prieuré construit au 10ème siècle. Dans l'abside alternent les pierres polychromes, sombres et claires, témoins de l'influence arabe. Regardez les motifs des chapiteaux ; fleurs, animaux, visages, sont empruntés au répertoire oriental.

Comme la plupart des édifices religieux romans, l'Eglise a été construite sur une source : l'eau était symbole de pureté et de vie, expression féconde de la Terre-mère ; l'accès au puits (où naît la source), bien que colmaté, est visible sur le mur de l'Eglise, côté sud donnant sur la cour de l'ancien Prieuré. On ne peut quitter ce lieu sans s'interroger sur la Chapelle des Saints Os, entre église et cimetière. Dans la crypte se trouve une chasse très simple contenant des ossements vénérés naguère comme reliques. La tradition rapporte que ce reliquaire contient 7 crânes de martyrs décapités. Ceci nous amène à penser que le Patron " logique " de l'Eglise est Saint Denis qui, martyrisé avec 6 Evêques, fut décapité. Apparaît alors la relation étroite entre la tête et l'eau de source qu'elle fait jaillir miraculeusement en tombant à terre (comme à Saint-Agrève). Cependant, la tradition populaire fit preuve, au 16eme siècle, d'un accès de modestie en remplaçant l'illustre Saint Denis par l'humble Saint Domnin, jeune martyr poitevin, victime des soldats romains.

Le Temple de l'Eglise Réformée, majestueux édifice dont le fronton présente la Bible ouverte a été inauguré en 1864. Les trois autres lieux du culte concrétisent des interrogations mystiques et humanistes caractéristiques du 19ème siècle.

L'ancienne Eglise Evangélique Libre, petit bâtiment à l'architecture harmonieuse, jouxte le pont qui franchit le Doux, direction Nozières. Depuis 1994, le culte a lieu dans des locaux plus modernes.

Non loin de là, les Frères Darbystes se réunissent régulièrement dans la Salle des Réunions Chrétiennes. Leurs voisins, militants bénévoles de l'Armée du Salut ont fêté en 1992 le cent dixième anniversaire de cette institution caritative dont l'oeuvre sociale fut particulièrement importante en Ardèche et Drôme. L'historien Samuel Mours note que chacune de ces communautés a transmis un facteur d'enrichissement de la réflexion : " L'Eglise Libre, la nécessité de l'appropriation personnelle du Salut ; le Darbysme, l'édification mutuelle et l'attente du retour du Christ ; l'Armée du Salut, la passion des âmes à sauver ".

        6 ponts : s'il y en a 6 sur le Doux et ses affluents, en dépit de leur intérêt pratique, voire esthétique, il faut absolument découvrir et emprunter la pittoresque passerelle qui surplombe le Condoie. Cette passerelle, dans l'étroite vallée dominée par les ruines du château médiéval de Pécheylard, servait de jonction, dès ta fin du 19eme siècle, entre une filature, une tannerie, alimentées par deux moulins, et la route de Vernoux. On voit encore les fondements puissants et les épais murs de pierre de ces bâtiments, au bord du ruisseau.

En cheminant dans la vieille rue des Massorts, projetons-nous un instant au 19ème siècle et imaginons cette vie industrieuse et animée dans le bruit des aubes des moulins, ces mouvements d'hommes et de chevaux portant à dos les lourdes charges..

Si les moulins ont joué un grand rôle dans l'histoire économique de Lamastre, c'est que l'eau, suprême ressource est partout présente et constitue la force magique qui, depuis plus d'un millénaire, conditionne la vie des générations successives de Lamastrois. Ici se rencontrent 4 ruisseaux, Doux, Sumène, Condoie, Grozon. Mais cette eau si utile peut parfois devenir cause d'ennuis ; pendant longtemps, la petite bourgade de La Mastre fut périodiquement inondée par le Doux ; ceci à tel point qu'en 1841 un " Syndicat de défense contre le Doux " fut formé. Seule la construction de la puissante digue permit à partir de 1900 la protection et le développement du Lamastre moderne.

Connaissez-vous la nymphe du ruisseau de la Sumène ? " Sous les rocs à face humaine, La nuit tu nous apparais, Nymphe antique de Sumène Ame du noir Vivarais "

Ces vers, extraits de " L'Ode à la Nymphe de Sumène " sont de Pierre Louys, écrivain et poète, auteur des truculents " Aventures du Roi Pausole " ; entre 1890 et 1900, il résida fréquemment dans la belle demeure de son ami André Ferdinand Hérold, à 3 kilomètres de Lamastre. A.-F. Héroid, grande figure vivaroise des Arts et des Lettres, fut à la fois poète, critique et auteur dramatique, humaniste défenseur des Droits de l'homme. Il reçut aussi dans sa maison de Lapras les écrivains Georges Courteline et Paul Valéry, ainsi que Maurice Ravel, auteur du célèbre Boléro, qui dans la calme demeure des Hérold, put continuer à composer : à ce sujet, Ravel écrit " Je vis en ermite au milieu des Cévennes. "

Qui dit eau dit aussi - vertus curatives - auxquelles une Nymphe ne suffit pas ; on a alors recours à la fontaine miraculeuse ! Or, celle-ci existe, à quelques 150 mètres de l'Eglise romane de Monteil, en pleine nature face à un paysage empli de sérénité ; c'est la Font Saint Pierre ; il y avait jadis une procession le 30 juin avec bénédiction générale des enfants. On trempait dans l'eau les enfants pleureurs ou " renaïres ". Le lieu où la source alimente cette fontaine porte le nom occitan de " Gros de la René ".

Rue du Savel : souvenir de la justice ecclésiastique. Croix de Malte et balance. (17eme siècle)

        8 châteaux dans le canton : châteaux du Vergier et des Sauvages à Désaignes ; château des Boscs à Gilhoc ; château de Grozon à Saint-Barthélemy-Grozon ; château de Maisonseule à Saint-Basile ; le nid d'aigle de Rochebloine à Nozières ; les murs altiers de Pécheylard et de Retourtour, à Lamastre, Les 5 premiers sont toujours habités ; la diversité de leurs styles et de leur environnement mérite le détour ; leur aspect le plus souvent austère évoque, dans l'imagination des enfants, un Moyen Age haut en couleurs où il fallait guerroyer...

Les 3 derniers sont en ruines, mais abritent toujours des histoires fantastiques : ne dit-on pas que sous Retourtour, gît un trésor; à Rochebloine, une pierre rougeâtre est l'objet d'une légende : c'est " la main sanglante " ; la fille d'un seigneur, blessée, y aurait posé la main. Il n'y a pas si longtemps, on disait que, les nuits d'hiver, on entendait des bruits étranges du côté du Vergier !

Hors de toute légende, le château des Sauvages a vu naître un personnage sortant du commun, Conrad Kilian, savant aventurier amoureux du désert, qui, avant la dernière guerre, fut le grand découvreur du pétrole saharien.

        9 communes : chacune a son charme et quelque chose à montrer, mais il n'est pas possible en quelques lignes de tout dévoiler ; il faut cependant connaître :

Il faut savoir que :

- à Saint-Basile, en 1820, l'Abbé Fustier fit du château de Maisonseule un établissement original d'enseignement qui donna naissance à la Congrégation des Basiliens : cette congrégation essaima et eut des représentants jusqu'au Canada. Les bases de l'enseignement dispensé provenaient essentiellement des règles d'éducation pour enfants promulguées dans les premiers siècles de notre ère par un Père de l'Eglise, Saint Basile.

Il faut savoir enfin que :

- à Grozon, l'Ordre des Templiers, dès 1270, eut une Maison dépendant directement de la Commanderie de Valence. En
1294 l'ensemble s'appelle " Maison de la Chevalerie du Temple de Valence et de Garausone " (Grozon en vieux Français). Ce domaine de Grozon eut entre autres, comme Commandeur, Martin de Bocosel en 1306 (cf. Cartulaire du Marquis d'Albon).

Aux curieux de s'informer et de chercher dans la campagne de Grozon les traces des légendaires Templiers !

Peut-on encore prétendre que Lamastre et son canton n'ont rien d'insolite ?

Pierre BRUN octobre 2001

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Enigme, rue du Château

...et ce rébus sur un linteau, quartier de Macheville.

 

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