LE SAVEL LA MASTRE

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Le village , tout en bas , sous le Castrum , n'est qu'un gros hameau . Coincé sur un petit triangle de terre entre le Pey Cheylard , le Condoix et le lit d'une rivière qui pourrait être aussi bien la Sumène que le Doux . Selon les dates et les documents , ce hameau sera appelé le Savel , le Savel la Mastre ou le lieu de la Mastre . La définition "le lieu de" indique bien qu'il n'y a pas d'église et que l'agglomération , malgré ses 72 maisons répertoriées en 1642 , n'était ni un village , ni une commune , ni une paroisse . Selon la hiérarchie féodale , c'était un lieu .

Nous avons déjà cherché à retrouver le sens du mot Mastra avec l'espoir d'avoir sélectionné la bonne solution .Quant au Savel , connaissant le glissement qui se produit entre diverses lettres , "V" et "B" en particulier , nous avons rapidement reconnu le "B" de sable dans le "V" de Savel . Le Savel c'est donc le sable par opposition à la montagne du Pey Cheylard , mais cette définition recouvre en fait toute la plaine , des Dévières à la Monde .

Le Pey Cheylard c'est tout simplement en vieil ardéchois la montagne (Pey) du château (Cheylard) .

Par contre , le Savel la Mastre va nous demander d'oublier nos connaissances scolaires .

Pour simplifier , "la" n'est pas un article , mais la préposition "de" . Le Savel la Mastre c'est donc le sable de Mastre , et non pas le sable de toute la plaine . De la même façon , "Boucieu le Roi" veut dire "Boucieu du Roi" qui en était le seigneur direct . Puis il arriva un moment où le sens de "la" ne fut plus compris et on écrivit simplement "la Mastre" , puis "Lamastre" . Je pense que cette réponse est assez simple pour être la bonne .

LA ROUTE DE NIMES

Si j'en crois le numérotage des maisons sur le plan cadastral de 1835 , la rue des Massorts commençait non pas avec le carrefour de la rue Bancel qui n'existait pas , mais avec la rue Prosper Duroux . Ceci semble bien indiquer que la route de Nîmes , alors connue sous le nom de départementale n° 1 de Serrières à Barjac , arrivait à Lamastre par le temple . , l'impasse de Condoix pour continuer sur la rive gauche par la rue Prosper Duroux , puis la rue Chalamet . Par la suite , un pont pas très élevé au-dessus de la rivière fut construit un peu en amont . Le résultat en a été que les (rares) véhicules arrivant d'Annonay devaient d'abord tourner à droite , à angle droit , puis à gauche pour emprunter la rue Duroux . Ce trajet n'était pas idéal , mais le pire se produisit vers 1845 . Maintenant la route arrivait par la rue Désiré Bancel . Le pont fut reconstruit en dur et surélevé de plusieurs mètres . Un véritable mur coupa alors la vieille rue Neuve rendant la circulation dangereuse , voire impossible malgré l'aménagement d'une rampe d'accès en terre battue beaucoup trop courte . On démoli alors une maison en face du pont et ce furent les commerçants du haut de la place qui virent la route passer au-dessus de leurs maisons .

LA RUE DES MASSORTS

La rue des Massorts allait donc de la passerelle métallique actuelle en suivant au plus près le ruisseau du Condoix jusqu'à la rue Duroux . Cette rue était et reste fort étroite . La proximité de l'eau semble y avoir attiré les artisans plutôt que les commerçants : meuniers , tanneurs , tisserands . Le compoix de 1642 signalait delà l'existence de "bachats" de chauchières que possédait Maître Escoffier (dont le nom veut d'ailleurs dire cordonnier) .

Un "bachat" c'était , et c'est toujours , un bassin creusé dans la pierre . Nul n'est besoin d'avoir recours au latin Calx (la chaux) pour nous expliquer de manière erronée que pour tanner les cuirs de vache on utilisait la chaux dans les chauchières . Il n'y a pas de chaux chez nous , par contre il y a de l'eau très douce , des chênes et des châtaigniers dont l'écorce broyée donne le tanin . Les paysans de chez nous savent depuis toujours "chaucher" la "tine" , c'est-à-dire écraser la vendange , même si ce n'est plus avec les talons . Dans les bachats de chauchière pouvant facilement être remplis d'eau , les coyratiers (tanneurs) empilent en les alternant une couche de peu de vache , une couche de tanin . Pour bien les tasser , ils surmontent le tout de lourdes planches couvertes de grosses pierres .

Au début de ce siècle , l'extrémité Est de la rue des Massorts était encore connue sous le nom de TREU . Quelques anciens des environs m'expliquaient que pendant la construction de la route de Vernoux vers 1840-1850 , il y avait là un treuil pour monter les lourdes "affaires" sur le chantier . Ils avaient tout simplement oublié leur patois . Dans les ruines des vieux moulins , à côté des meules pour écraser le grain , on trouve encore parfois des "treus" pour presser les noix et en extraire l'huile .

Que veut dire "rue des Massorts" ? m'a-t-on souvent demandé . A mon tour , j'ai questionné les uns et les autres et reçu des réponses les plus fantaisistes , la plus sérieuse envisageant l'existence en ces lieux au 17ème siècle , après la persécution des juifs en Espagne , d'une massorah c'est-à-dire d'une école rabbinique .

Par contre , Michel Guigal m'a suggéré : "Pour ce qui est de la rue des Massorts , je crois qu'il faudrait connaître la forme ancienne du toponyme . J'essaierai de regarder s'il existe dans les estimes de 1464 . On a parfois des surprises avec des formes latines . A première vue , j'aurais tendance à la rattacher au latin "Mansum" : mas , masure . S'il en est bien ainsi , il aurait désigné à l'origine les habitations précaires qu'établissaient les pauvres gens aux portes des cités fortifiées ou des châteaux pour y trouver refuge en cas de danger ." Ce qui était géographiquement le cas du terroir des Massorts situé au 16ème siècle entre le village fortifié de Mastre et le Condoix .

LA RUE DU SAVEL

La Grande Rue , c'était son nom en 1835 , était plus courte qu'aujourd'hui . Elle commençait à hauteur de la rue Duroux pour se diriger , en s'écartant de plus en plus du Condoix , vers le Champ de Mars (Place Montgolfier) . Les parcelles bordant la place (n°1 , 3 , 5 et 7) étaient des jardins appartenant à la commune . La part des colères du Doux semble-t-il . Cette rue , comme la rue des massorts , était très étroite . Si elle est aujourd'hui bien plus large (tout est relatif) , cela est dû à l'initiative privée . Elle était aussi d'une saleté repoussante et n'était pas la seule . Vers 1840 , on construit la nouvelle route de Désaignes . Monsieur Bleyzac , propriétaire du domaine de la gruterie , établi maintenant à Montéléger ,écrit le 29 mai 1839 à Monsieur Chambron , conseiller d'arrondissement et géomètre : "J'ai remarqué que la propreté du bourg laisse beaucoup à désirer . J'y étais le jour de la foire de Saint-Michel . J'étais logé chez le sieur Rouveyrol (aujourd'hui Hôtel du Midi) dans une chambre donnant sur la Rue Basse et je fus pendant plusieurs jours obligé de tenir mes fenêtres exactement fermées pour ne pas être incommodé par l'odeur infecte d'un grand nombre de tas de fumier de porcs qui fermentaient à la porte de chaque maison . Ce principe d'insalubrité est certainement aussi funeste que les vapeurs des eaux stagnantes sur lesquelles s'arrêtent toutes les plaintes .

LES BOMBARDEMENTS

Le 6 juin 1944 , les maquis ont définitivement libéré Lamastre de l'occupation nazie , ce qui ne leur plaît pas .

Le 6 juillet , par deux fois , avec 4 stukas selon les une , 8 selon les autres , leur aviation vient bombarder et mitrailler . A la sortie de la messe , un avion poursuit Mme Santos et sa fille religieuse et tue Mme Santos . Ils reviendront bombarder les 10 , 12 , 22 juillet et 20 août . Le sol de la place Seignobos est rouge de tuiles cassées . Le 12 juillet , plusieurs maisons furent rasées , en particulier rue du Savel , des décombres desquelles on retira les cadavres de Mme Vve Catalon (82 ans) , Marie Balaye (64 ans) , Mme Clot (43 ans) , Anaïs Peyrard (40 ans) , Roger Astier (18 ans) , Louis Peyrard (15 ans) qui était venu se réfugier de Lyon chez son oncle . Plusieurs maisons démolies aussi rue Olivier de Serres où périt Mme Vve Crouzet (73 ans) .

LA RUE DAREYRE

Un nom curieux . Dareyre , c'est tout simplement "derrière" en bon vieux parler de chez nous . Le compoix de Lamastre de 1642 note à cet emplacement un sentier allant à "Dareyre" . Mais derrière quoi ? Tout simplement derrière le Condoix . Mais attention , il ne faut pas se tromper . On considère souvent que le Condoix était la frontière entre Macheville et le Savel la Mastre . Pas tout à fait . En effet le prieur de Macheville possédait lui aussi une partie de la plaine sur la rive gauche du ruisseau . Cette frontière est nettement marquée sur les plans de 1900 . Il suffit de tracer une ligne bien droite allant du foyer protestant au Cros de Saint-Cierge pour les habitants de Macheville , cette parcelle était "dareyre" le Condoix .

Donc ne cherchons pas quelle haute personnalité a donné son nom à cette rue . Quoique ...

Quoique le 14 juillet 1980 environ , une sympathique cérémonie y apporta une animation inhabituelle . Une plaque de bois drapée de tricolore était fixée à la façade d'une maison . Une longue table , constituée de plateaux et de tréteaux , garnie de verres et de bouteilles , semblait attendre on ne sait qui . C'est alors que la fanfare , l'harmonie municipale , bannière flottant au vent et tambour battant , descendit la rue du Savel . Des voisins et des voisines en corps constitués , débouchèrent alors de la rue Boissy . La plaque fut dévoilée , et le nom de la rue apparut : "rue Milou Dareyre , chasseur émérite -1910-19..-" . Des touristes belges vinrent alors me demander qui était ce chasseur émérite , quel grand fauve il avait traqué , dans quels continents . Je leur répondis que je ne connaissais personne de ce nom et que le mieux était d'aller prendre un verre avec lui . Stupéfaits , peut-être inquiets ou pensant à Alphonse Daudet , ils acceptèrent ma proposition .

La vérité était toute simple : Un sympathique retraité était connu de tous ses amis sous ce nom du fait qu'il était "l'habitant" de cette rue . Mais quelle histoire à raconter en Belgique .

LE CHAREYRON

Le Chareyron est certainement la plus ancienne voie urbaine de Lamstre . Il permet d'aller de l'église de Macheville au Château . Presque partout , cet antique chemin de 3 pieds de large est devenu une véritable route , sauf en deux points : le long du parc Seignobos à Macheville et de la rue des Massorts au château de Lamastre .

A l'extrémité sud de la rue des Massorts , un moulin qui a cessé de moudre .Face au moulin , la villa du meunier . Si mes souvenirs , que je n'ai pu vérifier , sont exacts , un escalier en ciment semble donner accès uniquement au premier étage de la maison . En fait , il constitue le début du Chareyron régulièrement encadastré qui escalade le flanc de la montagne et permettait aux habitants du "château" d'aller travailler dans les ateliers qui bordaient le Condoix , moulins , treus , bachats de chauchières , ou de se rendre à l'église . Peut-être faudrait-il le flécher et lui conserve son antique destination de voie piétonne ?

RUE DES QUARTIERS

De la rue Dareyre , rue Neuve (du Savel et des Massorts) , nous voici maintenant rue des Quartiers qui nous conduira à la rue des Maisons Neuves , puis au quartier Chalamet . La rue des quartiers , située en haut de la place , n'avait que 4 ou 5 maisons et n'était pas autre chose que la route d'Annonay au Cheylard et à Nîmes . Nous connaissons ailleurs le quartier Chalamet et le quartier de tain , où quartier est synonyme de faubourg . Mais la rue des Quartiers ? De quels quartiers s'agit-il ? Des quartiers , sans plus .

A l'origine , le quartier était la cabane ou la petite maison dans laquelle venaient s'abriter antre leurs rondes nocturnes les quelques gardes chargés de la sécurité des rues et des portes de la ville . Bientôt , le quartier désigna le lieu où les régiments venaient s'installer en hiver entre deux campagnes .

De 1664 à 1765 , pendant les persécutions contre les protestants , de nombreux soldats , parfois deux compagnies) venaient prendre leurs quartiers à La Mastre , tantôt dans une maison , tantôt dans une autre . En 1753 , la communauté des Habitants décida d'établir la Caserne , les quartiers , en un lieu fixe , la maison Ladreyt et la maison Sagnard et d'ouvrir des communications entre ces deux maisons . Ce sont probablement ces casernes qui ont donné leur nom à la rue des Quartiers qui correspondait à la partie haute de la place Seignobos . A l'extrémité de la rue des Quartiers , nous aurions trouvé la très vaste auberge Masson qui obstruait totalement l'actuelle rue du Moulin . Au début du 20ème siècle , la rue des Quartiers abrita le bureau de poste (34 place Seignobos) et la Mairie , au premier étage de l'annexe de l'Hôtel du Midi . Aujourd'hui , cette rue est le siège d'une nouvelle religion : le tiercé .

LA RUE DU MOULIN

Selon le cadastre de 1835 , Monsieur François Madier , du Clos (du Crestet) exploite une tannerie à l'extrémité sud de la rue des Massorts . Mais par suite du réaménagement du pont sur le Condoix , la route d'Annonay au Cheylard est surélevée de plusieurs mètres (voir maisons Tracol et Portigliati) . Les charrettes ne peuvent plus accéder à la tannerie . Perdant tous ses clients , Monsieur Madier intente une action contre la commune qui renvoie sur les services départementaux des Ponts et Chaussées . Empêchés de travailler , le 19 septembre , les frères Madier sont contraints de liquider leur affaire et vendre aux enchères ce qui est maintenant un moulin , semble-t-il , assez important .

Monsieur Prosper Chambron achète le bâtiment et construit à côté une filature de laine . Pour accéder à ses ateliers , il achète la très vaste et très vieille auberge Masson , la démolit , construit une route privée et les maisons qui existent toujours côté gauche de la rue en allant au moulin . L'une d'elles abrita assez longtemps la mairie . Il construit aussi sur le Condoix une passerelle métallique permettant de se rendre à la routede Vernoux .

Monsieur Charles Peyrard exploita dans les bâtiments uniquement un moulin à farine de plus en plus important . Monsieur Seguy , son gendre , se spécialisa dans les farines pour animaux , puis dans la production d'oeufs connus sous le nom de "Mâtines" . Pour cela des agriculteurs du canton , puis de la Drôme et du Vaucluse , construisaient de vastes poulaillers et les équipaient du matériel nécessaire . Monsieur Seguy leur fournissait 20 000 poules et la farine pour les nourrir et récupérait les oeufs à un prix convenu , représentant le travail et les frais divers de l'exploitant . Dix jours plus tard , après désinfection du poulailler , il remplaçait les poules .

Vers 1990 , l'entreprise a quitté Lamastre pour centraliser toutes ses activités dans le Vaucluse .

La rue est maintenant connue sous le nom de "Prosper Chambron" , conseiller d'arrondissement .

RUE FERDINAND CHARRAS

Au bout de la rue des Quartiers , la route de Nîmes vient s'accrocher au flanc du Peycheylard . Depuis la vieille auberge de Masson jusqu'au chemin du château , elle constitue la rue des Maisons Neuves . Charles Seignobos disait que ces maisons étaient les plus belles de Lamastre . Il est vrai qu'elles avaient rapidement bénéficié de la belle carrière de pierres que constituaient à proximité les ruines du château .

Dans cette rue on trouvait la Mairie et l'école (au numéro 3 ou 5) .Mais l'eau suintait et parfois jaillissait du rocher qui constituait le fond des maisons . Le papier pourrissait dans la mairie qu'il fallut aller installer ailleurs . L'école résista plus longtemps ; il n'y avait pas de papier , seulement des élèves .

Cette rue était l'une des plus commerçantes de Lamastre . De plus , les maisons situées du côté de la place donnaient asile à deux commerces , un au niveau de la place et un niveau de la rue . A ce niveau , il reste aujourd'hui seulement 3 commerces : un coiffeur , le bar de l'embellie et un marchand de vêtements .

Cette rue reçut un jour le nom du docteur Ferdinand Charras , maire de Lamastre de 1876 à 1881 .

LA RUE DES NONIERES

La rue des Nonières prolonge la rue des Maisons Neuves .

Pour aller au château , nous pouvons passer :

1) par le Chareyron , voie extrêmement abrupte d'un mètre de large qui débute , nous l'avons vu , là-bas à l'extrémité de la rue des Massorts et de la rue du Moulin (Prosper Chambron) .

2) par la rue du château , beaucoup plus large , peut-être moins abrupte , inutilisable par les voitures modernes .

3) 100 mètres plus loin , le chemin du château , autre voie piétonne débutant aujourd'hui par des escaliers (au numéro 31) . Entre la rue du château et le chemin du château , une dizaine de maisons , toutes adossées à la montagne , ce qui n'était pas très bon au point de vue sanitaire . Il était en effet impossible de bâtir de l'autre côté de la route encore mal stabilisée et qui formait un véritable falaise dominant la plaine du Doux .

Nous reviendrons après 1840 sur cette rue qui prendra alors le nom de quartier Chalamet .

LA FONTAINE DE LA MERE PONTON . Dans cette rue , notons une curiosité : la fontaine invisible dite de la mère Ponton ... Sous la route , face à l'ancien hôtel Ponton (ou Raimu) une voûte large de 1,20m , haute de 2m , abritant une pierre creusée pour former un bassin , un "bachat" dans lequel coulait une fontaine . Les ânes et les mulets venaient y boire et les voisins chercher de l'eau fraîche . Sans doute contrariée de ne plus avoir de clients , cette fontaine coule très parcimonieusement et pas du tout été . 

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