La Crue du 3 aout 1963

C'était le 3 Août 1963, et c'est ce jour-là que j'ai vu la deuxième crue du 20ème siècle. Le talent épique me manque pour vous décrire cet orage interminable grossissant tour à tour chacun des quatre torrents qui convergent sur Lamastre, montant à plus de cinq mètres de haut, jusqu'au tablier du pont de cinquante ou soixante mètres qui joint les deux parties de la ville, et roulant à trente ou quarante kilomètres-heure. Faites votre calcul : 10m x 6m x 50m = 3000m3 seconde et peut-être plus, coulant au lieu des dix litres ou même du demi-litre seconde habituel, et vous aurez une idée... toute petite de la réalité.

D'ailleurs il y eut des morts à Tournon, et à Lamastre même, quatre-vingts gosses avec des moniteurs imprudents n'ont dû leur salut qu'à un dernier caprice de l'orage quittant l'Ouest pour le plein Midi. Mais ils étaient déjà dans les arbres qui commençaient sérieusement à fléchir.

Quant à moi je péchais depuis dix heures du matin dans l'Aygue-Neyre. Et je pestais, car non seulement j'étais trempé, non seulement j'avais essuyé (sic !) une violente tournée de grêle, mais les truites étaient mal à l'aise. Elles mordaient "la gueule ouverte" : une truite dans le panier toutes les quinze touches environ.

Soudain je m'aperçus que je n'allais plus pouvoir traverser la rivière, et de plus où que je regardais, je voyais filer de l'eau... de l'eau... de l'eau. Il a fallu se décider très vite et en équilibre sur un pont de bois qui commençait à faire barrage j'ai gagné l'autre rive ; arrivé sur la route j'ai pu voir que les sommets même des montagnes étaient comme crêtes d'eau. J'ai regagné la 2 CV à l'abri (sic !) dans un recoin ! Surprise ! Il y avait déjà de l'eau jusqu'aux moyeux des roues. Mon recoin était devenu un torrent. Je ne sais plus très bien comment j'ai effectué le retour, me souvenant simplement de ce pré qui derrière moi traversa et obstrua la route, et qu'à deux kilomètres de chez moi je me suis arrêté une bonne demi-heure. On n'y voyait pas à deux mètres.

Dans le village il y avait un début de panique. La grande digue qui protégeait depuis un siècle environ le bas du village, commençait à laisser filtrer l'eau. Et je me suis ensuite occupé de mener à la mairie les gosses dont je vous ai parlé plus haut, et qui n'avaient plus pour tout vêtement que leur slip. Ma 2 CV était transformée en baignoire.

Mais laissons tout cela pour en arriver au lendemain avec les routes obstruées, les ponts disparus... sauf les ponts romains, et un paysage lunaire. Plus un arbre, plus un poil d'herbe sur deux ou quatre cents mètres de large. Des cailloux énormes, encore des cailloux, tandis que grondait un torrent, que dis-je, un énorme fleuve fou, qui nous assourdissait, après s'être légèrement retiré en laissant pas mal de truites sur le rivage (une truite d'un kilo fut trouvée sur les marches du Foyer protestant distant de trois cents bons mètres du fleuve, et des milliers ou des millions d'entre elles furent perdues... pas toujours pour tout le monde).

Trois jours après, je profitais de la décrue (toute relative) et des passages de fortune aménagés sur les routes, pour faire un tour de pêche, risquer deux ou trois fois la noyade, mais aussi prendre (ô honte !) huit livres de truites. J'en ai pété la bretelle du panier.

Et elles furent folles ainsi pendant quinze jours au moins. Tout le village était à la pêche. Et tout le monde en prenait... comme à la foire !

                                                         Alphonse MAILLOT (Pasteur à Lamastre de 1945 à 1955)

                                                                Extrait de HISTOIRE D'EAUX et D'AUTRES

 

 

La crue 1963 en photo (Credits photos: Dédée LESPET, R. BOUIT et Mr MONTAGNE(Retourtour))

 

Pendant la crue (à Retourtour)

 

Le lendemain

 

 

A Retourtour

 

    

   

 

A la Monde

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A la digue

 

 

Au pont de Tain

 

 

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