LA GENESE

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Faut-il écrire "La Mastre" comme autrefois , "Lamastre" comme aujourd'hui ou tout simplement "Mastre" ? Pierre Charrie a relevé (dictionnaire topographique) MASTRA dans la bulle d'Alexandre III en 1179 et "La MASTRA" (texte original ou édition moderne ?) dès le 11 ème siècle dans le cartulaire de Saint-Bernard . Le premier seigneur connu semble être Adhémar de Mastra en 1082 . Le vrai nom de notre village est Mastra . Nous sommes des Mastrens , les habitantes de Lamastre des mastrenches . Les tournonnais nous appelaient "mastrous" quand nous descendions de notre petit train .

 

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Le village originel se trouvait tout là-haut , blotti contre le château-fort , sur un éperon rocheux , véritable presqu'île qui se détache du Pey Cheylard et domine la Plaine du Doux , le Savel et les gorges abruptes du Condoix .

Que veut dire "Mastra" ?

Il fut un temps où on nous assurait (la vérité , religieuse ou profane , ne pouvant appartenir qu'au latin) que Mastra venait de "Magistra" , d'où l'existence là-haut d'une tour maîtresse . Nous pouvons penser qu'il n'en est rien et qu'il serait bien prétentieux de vouloir faire de notre château , si totalement ignoré par l'histoire , le plus puissant de la région . Mistral a cru y reconnaître un vieux mot provençal qui signifiait en patois une maie . Il a été le seul à le croire et il faut beaucoup d'imagination gratuite pour voir un pétrin à l'origine de ce château .

Il reste à faire appel à plus érudit que nous .

Si l'on en croit les toponymistes modernes , on pourrait , derrière eux , s'aventurer sur une autre piste qui exigerait que nous retrouvions quelques anciens souvenirs scolaires sur les consonnes interchangeables dans l'espace et le temps . On distinguait , et on distingue toujours , les dentales "d" et "t" , les gutturales "k" et "g" et , dans notre cas , les labiales "b" , "p" , "f" , "v" et "m" avec pour résultat qu'un "caballero" en espagnol devient un "cavalier" ou un "chevalier" en français , un "troubadour" dans le pays d'oc est un "trouvère" dans le nord de la France , "savoir" à Paris et "sabe" chez nous .

Stabon , un géographe grec né il y a environ 2000 ans connaissait en Gaule les montagnes de KEMENOS que son contemporain Jules César écrivait CEBENAS et nous les CEVENNES . C'est ainsi que pour nos érudits modernes , et ils sont plus compétents que moi , notre MASTRE comme les VASTRES et la BATIE D'ANDAURE , seraient les cousins de toutes les BASTIDES , ces forteresses qui couronnent nos montagnes , ils font descendre toutes ces places fortifiées déjà par la nature , d'un très vieux mot DER BAST qui désignait l'écorce , puis l'entrelac d'écorce et de branches qu'ils utilisaient pour renforcer les défenses des places fortes naturelles .

Gamins , nous construisions ainsi au bord du Doux, nos cabanes .

Encore aujourd'hui , couturières et tailleurs bâtissent vestes et vêtements en assemblant des morceaux d'étoffe .

D'autres chercheurs trouveraient l'origine de Baste , donc de Mastre , dans un vieux mot gaëlique BAZ ou BATZ , construction faite avec des pieux , des pierres et de la terre . C'est le murus gallicus avec lequel les soldats gaulois entouraient leur camp .

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Il ne faudrait cependant pas croire que le castrum mastra était seulement protégé par sa situation naturelle renforcée par un simple mur de terre et de pierres hérissé de pieux acérés . La porte qui garde encore l'entrée du village avec ses murs épais équipés de meurtrières nous prouve le contraire . Cette porte à plus de cent mètres des ruines du château nous pose un problème . Notre château aurait-il la superficie supérieure à celle d'un terrain de football ?

Pendant longtemps (le latin étant la langue obligatoire pour tous les actes officiels) , les notaires écrivaient CASTRUM MASTRAE . En 1539 , François 1er interdit le latin , imposa l'usage du français et les notaires écrivirent "LE FORT ET CHATEAU DE MASTRE" . Ils voyaient donc à la fois un fort et un château . Mais qu'appelaient-ils un fort ? Qu'appelaient-ils un château ?

Le fort désignait-il une place forte , un village fortifié , et le château la maison , elle aussi fortifiée , du seigneur ?

Il nous reste à consulter les cartes . Je parle des cartes postales du début de ce siècle qui sont fort intéressantes . Sur l'une d'elles en particulier , nous distinguons parfaitement les flancs vertigineux du Condoix , le charreyron , étroit chemin avec ses marches d'escalier , escaladant cette paroi pour relier la porte du château à Condoix , et surtout , un vieux village aux sentes serpentant entre les maisons et là-haut les ruines du château . Il y avait donc bien un village fortifié et les ruines d'un château .

Qu'en était-il au 16 ème siècle ? Un fort et un château voyaient et écrivaient les notaires .

En 1575 , trois ans après la Saint-Barthélémy , Rochegude , syndic du Vivarais pour les protestants , vient sur les lieux pour faire étrangler et pendre aux créneaux deux chefs de bande qui pillaient et torturaient les habitants de la région . Donc , en 1575 , le château était en bon état . En 1594 , c'est la fin des guerres de religion et on n'a plus entendu parler du château même pendant l'expédition de Louis XIII contre Privas .

En 1642 , on recense toutes les popriétés pour dresser le compoix , le cadastre fiscal .

Là-haut , les arpenteurs relèvent l'existence d'un château "chazal" , c'est-à-dire ruiné , appartenant à Christophe de Meyres seigneur du lieu , quelques "barrys" c'est-à-dire des remparts , et adossées à ces remparts quelques maisons . Que s'est-il passé ? Le village aurait-il été rasé sur l'ordre de Louis XIII en même temps que le château ? A-t-il seulement existé ou les pages le concernant ont-elles disparu ? Cependant , quelques habitations subsistent au 19 ème et au 20 ème siècle et le village a même son "usine" . Sous le castrum ruiné , sur la rive gauche de Condoix , nous trouvons la plaine de Vachier que les pudibonds d'aujourd'hui appellent Vacher .

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Le château en ruine , le village pratiquement abandonné , il devrait rester au moins l'église . C'est un fait , à La Mastre il n'y a jamais eu d'église , ce qui paraît exceptionnel .

Tout au plus , en cherchant bien , j'ai découvert un document officiel daté de 1516 émanant de l'évêché de Valence et qui notait :

"Rector Sanctae Agathae infra castrum Mastrae" , soit une chapelle Sainte-Agathe sous le castrum de Mastre dont le recteur était taxé à 8 sols , une misère , car une chapelle n'était pas une église , tout au plus un "point" devant lequel un recteur devait venir réciter des prières suite à une rente accordée par une famille .

 

En quittant le castrum pour descendre dans la plaine du Doux , un sphinx nous attend au 10 de la montée du château . Il s'agit d'une pierre constituant un des montants de la porte d'une petite maison . Sur cette pierre , une tête bien ronde gravée en un relief assez prononcé avec deux trous ronds figurant les yeux , un trou triangulaire au-dessus . Incapable de trouver la bonne réponse , j'ai envoyé la photo de notre ancêtre à Michel Guigal dont la compétence est reconnue par tous , voici sa réponse :

Mon cher Paul ,

Je suis vraiment navré de ne plus te voir venir travailler aux Archives . J'avais quelques nouvelles de toi par mon épouse qui te voit de temps à autre à l'hôpital d'Annonay . Heureusement , je constate que tu n'as pas perdu le goût de la recherche et cela me fait plaisir .

Je crains bien de ne pas être d'un grand secours pour les deux questions que tu me poses . En ce qui concerne ton ancêtre , je le trouve très sympathique mais pas très causant . C'est vraiment là le type même de la sculpture indatable . N'importe qui peut avoir fait cela et à n'importe quelle époque . Aucun indice définitif ne peut être mis en avant . La seule petite indication , peut-être , réside dans le fait qu'on pourrait attribuer à ces narines en creux les caractères d'une tête de mort à laquelle manquerait le maxiliaire inférieur . Le fait que le créateur de cette sculpture n'ait pas eu peur de la ressemblance avec le symbole de l'au-delà semble signer une date très haute . Ce n'est que vers la fin du Moyen-Age qu'on a commencé à craindre les symboles macabres . Auparavant , on vivait très bien avec la proximité de ces évocations de la mort auxquelles on prêtait même parfois des vertus prophylactiques . Les milieux monastiques seuls ont résisté à cette crainte de l'image de la mort et ont continué impertubablement à la représenter dans leurs monuments .

Par contre , le contour très arrondi du visage n'évoque pas l'aspect décharné que l'on attribue d'ordinaire à la tête de mort . Il rappelle plutôt les visages replets des sculptures romanes . On voit très souvent des moinillons romans des visages grimaçants ou hilares au contour similaire . Que conclure de tout cela ? Rien de très précis . Mais j'aurais tendance à dater cela très "haut" , peut-être entre 13ème et 15ème .

 

LA LEGENDE DU CHATEAU

Après toutes ces choses fort savantes , j'ai fort apprécié la savoureuse légende de Peycheylard . Grâce à l'amabilité de Monsieur Desrois qui m'en a confié le manuscrit , je suis heureux de pouvoir en donner de larges extraits .

Monsieur Desrois est un lamastrois de souche . Le plus ancien connu était il y a plus de deux siècles installé tanneur aux Massorts sur les bords du Condoix .Par la suite , les Desrois aménageaient , toujours sur les bords du Condoix , une usine à Vachier . L'annuaire de 1870 les qualifie de filateurs . Il semble qu'ils y exploitèrent aussi une carde et surtout un atelier de fabrications d'étoffes . La famille résidait au château dans une vieille maison adossée aux remparts , c'est dire l'authenticité de cette histoire que l'on racontait aux veillées au temps où les gens se rassemblaient pour casser les noix en buvant un bon coup de vin clairet .

"C'était l'année de la Comète ... Si mes souvenirs sont exacts , ce devait être le 6 juin 1858 . Le garde de ville Boget , surnommé l'imaginaire , s'était levé tôt ... Ce matin-là , après avoir inspecté les alentours du parc de monsieur Seignobos , il prit la route de Vernoux pour passer à gué le Condoix , là où se trouvait la tannerie ... Machinalement , il regarda vers le château . Il resta stupéfait , la bouche ouverte , poussa des jurons et courut comme un fou à la mairie . "Monsieur Chalaye , venez voir , le château a disparu" . Le secrétaire pensa que Boget n'avait pas dessoûlé . Cependant , devant son insistance , il sortit de la mairie et dut se rendre à l'évidence : le château de Peycheylard avait disparu .

Le Maire , Monsieur Xavier Dubesset , alerté , tous trois montèrent au château .

Ils n'allèrent pas loin . Au delà de l'ancienne porte , à plus de deux cents mètres du château les pierres pleuvaient comme des boulets au siège d'Arras . D'où venaient-elles ? Mystère . Pas des ruines en tout cas , puisqu'il n'y en avait plus trace .

Les trois hommes descendirent à la mairie sans rien dire . Monsieur Dubesset s'enferma dans son bureau et décida de ne pas alerter l'administration . "A quoi bon . Le château s'est effondré , ça devait arriver . Ne dramatisons pas . Si nous parlions de sorcellerie , les autorités nous prendraient pour des plaisantins . Tout se tassera ." L'essentiel était de prévenir les accidents et d'avertir la population .

Boget fit le tour de la ville avec son tambour : "Interdiction sous peine de procès-verbal de pénétrer dans l'enceinte du château . Les deux montées sont interdites à la circulation jusqu'à nouvel avis . Il est dangereux de pénétrer dans les jardins qui sont sous le château et le village ." A midi , la grand place était noire de monde : on mettait la main au-dessus des sourcils pour essayer de distinguer quelque chose . En vain . A la place du château , un vide affreux , même pas un tas de pierres .

A Lamastre , c'était la consternation . Comme toujours en pareil cas , le peuple chercha des responsables . A l'évidence , de pareils événements ne se seraient pas produits au temps de la République , deuxième de nom . Mais le souvenir de 1851 était encore présent et les langues restaient au chaud . Il n'était pas non plus question d'incriminer l'administration municipale . Monsieur Dubesset était unanimement respecté . La mère Gaude , une vieille de quatre-vingts dix ans , formula une hypothèse . Elle montait chaque jour au château , depuis des lustres , pour faire paître une chèvre dans les sentiers bordés d'aubépines et de pruneliers sauvages .

-"C'est le fantôme , assurait-elle . depuis que les garnements du Savel l'ont dérangé , les catastrophes s'abattent sur notre paroisse : l'épidémie de fièvres en 1855 , les chenilles en 56 , l'an dernier l' inondation qui a fait sauter la digue et , aujourd'hui , le château . Oui , je les ai vus . Ils ont découvert une cave en creusant un trou dans le mur du côté du midi . Ils y font du feu et chantent des chansons sales . Le fantôme n'aime pas ça , il s'est vengé ."

L'explication ne valait rien . C'est la tête de la mère Gaude qui était dérangée ; mais il fallait bien faire quelque chose . Les esprits forts , des républicains naturellement , haussaient les épaules . Toutefois , les vieilles et les tenants d'une politique d'autorité ne laissaient pas d'être ébranlés . On en parle au curé . Sous couvert de la procession de la Fête-Dieu , en juin , il prononcerait des formules d'exorcisme .

Le mois de juillet se passe sans gros incident . Il tombait bien une pierre de temps en temps dans les jardins , mais sans intention agressive . La situation s'aggrava en août . Le mur de soutènement du chemin de ronde s'effondra . Des moëllons dévalèrent jusqu'à Vachier et comblèrent le grand "gour" du Condoix . Cela ne pouvait durer . La saturation était atteinte , une décision s'imposait . Le Maire réunit son Conseil ; les municipaux , comme en 1841 , se montrèrent à la hauteur des circonstances . Dix-sept ans plus tôt , la commune s'était endettée de six mille francs pour la construction d'une digue . On décida d'inscrire mille francs au budget pour la reconstruction du château à l'identique , c'est-à-dire un mur de 12 mètres de haut avec ses créneaux , le chemin de ronde et l'aménagement des abords jusqu'aux maisons . Un conseiller conseilla d'ouvrir une souscription publique . Il s'inscrivit pour deux cents francs . Beaucoup d'autres suivirent . On n'imagine pas la générosité du petit peuple : les dons de deux sous affluèrent . Mille francs furent trouvés en quelques jours . Depuis l'ouverture de la souscription les pierres s'étaient arrêtées . C'est à croire que le fantôme , touché par tant d'amitié , avait honte de sa colère . Le jour de l'Assomption , on vit fleurir un cerisier stérile depuis longtemps .

Monsieur Balaye avait eu de la peine à recruter des maçons , personne ne voulait affronter la trêve , même pour 5 francs par jour , nourri . Ce sont des italiens qui conclurent le marché , à prix fait , 2000 francs tout compris . Les affaires locales ne les concernaient pas , ils en avaient vu d'autres et il fallait bien vivre .

Au début de septembre , tout le sous-oeuvre était achevé , les fondations consolidées . On allait se presser pour terminer avant les premières gelées . C'est la nuit du 5 au 6 septembre que l'au-delà se manifesta . Aux premières lueurs de l'aube blanchissante , la silhouette du château de Peycheylard se découpait sur le ciel , comme autrefois . Les plus étonnés , ce furent les italiens quand ils se rendirent sur le chantier , de bonne heure . Comme ils avaient touché une solide avance sur leurs gages , ils récupérèrent leur matériel et décampèrent .

La population se félicita de l'heureuse issue des événements . Le prestige de monsieur Dubesset s'en trouva accru . Evincé par les rouges en 70 , il fut porté en triomphe en 71 .

Tous les témoins de cette étrange aventure sont morts depuis longtemps . Monsieur Chambron , le notaire , avait paraît-il consigné par le menu dans ses mémoires cette énigmatique histoire . Mais sa veuve les a brûlées . Seule reste la tradition orale rapportée par mon père . Que faut-il en penser ? Pour ma part , j'hésite : hallucination collective ? Magie ? Il se passe tant de choses extraordinaires dans notre Haut Vivarais .

Abel Desrois .

Quant à moi , j'ai admiré le sang-froid et le bon sens de monsieur Dubesset , le maire , le concours discret du curé (et probablement des pasteurs) pour apaiser la population , le courage et l'absence d'hystérie des lamastrois malgré la peur qui devait en tenailler plus d'un .

En ce qui concerne les deux chemins où la circulation fut interdite , l'un est bien connu , c'est la montée du château . L'autre , le seul par lequel on pouvait accéder au château avec des charrettes a été obstrué lors de la construction de la nouvelle route qui passe au-dessus du cimetière . Le débouché existe toujours vers les Dévières , vers le numéro 85 de la rue Chalamet , mais il a été fort rétréci par la construction d'un garage , je crois , sous la voûte .

 

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