LA MARTINEYRA

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Le quartier de la Martineyra était situé au pied de la colline de Macheville dans un secteur limité en gros par la nouvelle route de Valence , le Condoie et la gare .

Au début du 19ème siècle , on y pouvait compter les maisons sur les doigts d'une seule main . . Cela nous permettra d'aller nous promener sur la route de Tournon à la quête d'un immeuble ou d'un événement intéressants .

L'IMPASSE DE CONDOIE

C'est l'ancienne route d'Annonay et de Tournon vers le Cheylard que nous retrouverons de l'autre côté de Condoie , dans la rue Prosper Duroux .

Après la révocation de l'Edit de Nantes , pour empêcher les protestants de chercher refuge dans les pays étrangers , il leur sera interdit de vendre les biens qu'ils possédaient .

En 1787 , Louis XVI va leur donner le droit d'avoir un état-civil autre que le baptême catholique qu'ils refusent et d'exercer leur religion .

En 1802 , en annexe du Concordat , Bonaparte fait des juifs et des protestants des français égaux aux catholiques , en particulier il leur accorde le droit d'avoir des temples et des synagogues .

De plus en plus nombreux seront les protestants qui abandonneront la campagne pour venir s'établir à Lamastre . En 1819 , ils seront en mesure , pour en faire leur temple , d'acheter dans l'espace Condoie une maison couverte de tuiles creuses d'une contenance de 228 m2 . Cette maison existe toujours , mais l'entrée est maintenant au 18 rue Bancel .

LA RUE DESIRE BANCEL

La rue Désiré Bancel est tout simplement la nouvelle route de Valence qui borde la Parc Seignobos , puis traverse le Condoie sur un pont en pierres qu'il faudra surélever . Cette rue fut , jusqu'à ces dernières années , une des plus commerçantes de Lamastre .

DESIRE BANCEL (1822-1871)

Jean-Baptiste Désiré Bancel est né à la Garde , ancienne maison forte qu'il appelait en toute simplicité "notre terre de Bancel" . Avocat , député de la Drôme en 1849 à 27 ans , il sera un des adversaires les plus résolus de Napoléon III . Lors du coup d'état du 2 décembre 1851 , ceint de son écharpe tricolore de député , il descend le boulevard Montmartre à la tête de 400 hommes en chantant la Marseillaise . Arrêté , comme Victor Hugo , chassé de France , il trouve refuge à Bruxelles . En 1869 , Napoléon III l'autorise à rentrer en France et il est élu à la fois dans la Seine ,le Rhône te la Drôme . Gravement malade , il vient se reposer à Lamastre chez son ami Charles Seignobos . Il meurt au Parc le 23 janvier 1871 après avoir rédigé son testament :

"Je , soussigné Désiré Bancel , voulant affirmer par ma mort les principes de ma vie , déclare de manière la plus formelle et la plus absolue , refuser le concours de tout prêtre durant ma maladie et après moi pour procéder à mes funérailles : je veux un enterrement purement civil ."

A la demande de la famille , l'église accepte de procéder à des funérailles religieuses . Alertés , tous les francs-maçons voisins vinrent eux aussi procéder à des funérailles maçonniques .

Bancel avait lui-même composé son épitaphe :

Ci-gît

un ami de la Belgique

un ami de la France

un soldat du droit

Désiré Bancel (1822-1871)

cent ans plus tard , cette épitaphe fut cassée , les morceaux jetés sous le pont de Tain et la tombe entièrement détruite .

LE NOUVEAU TEMPLE

Le "Temple" de l'impasse de Condoie est vite devenu trop petit . La paroisse achète donc à madame Changeat un terrain de 544 m2 pour construire un nouveau temple . Celui-ci pourra recevoir 530 fidèles assis et coûtera 32 967 francs . L'agrandissement de la nouvelle église de Macheville avec son clocher s'élèvera à 32 444 francs .

Le 7 août 1863 , aura lieu la dédicace de ce temple avec la participation du Maire et de son Conseil municipal , des sapeurs-pompiers en grande tenue de nombreux pasteurs de la région et d'une foule extraordinaire pour laquelle il faudra aussi organiser 3 cultes en plein air , comme autrefois au désert .

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Il faut noter l'architecture originale et composite extrêmement rare de cet édifice . Les une y verront les éléments d'un temple grec , voire d'une synagogue . Surtout , il faut entrer dans le Temple , ne serait-ce que pour admirer sur le triptyque qui fait face à la chaire , à la Parole , le magnifique vitrail réalisé il y a une quarantaine d'années par Eric de Saussure . Sur les 2 panneaux latéraux , André et son frère Simon Pierre en adoration .

Sur le panneau central , Jean , un agneau sur le livre posé sur sa poitrine leur dit :

-"Voilà l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde " (Jean 1.29, 40 et 42) .

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LA PLACE DU TEMPLE

En 1857 , le Doux avait ravagé le bas de la place (Seignobos) de Lamastre où se tenaient les marchés . Les commerçants du quartier de la Martineire achetèrent alors la prairie située entre l'ancienne route de Tournon et la nouvelle route de Valence .Ils en font cadeau à la commune à condition qu'on y tienne une partie du marché . Opposition absolue , sous de faux prétextes , des commerçants de la place Seignobos . Pour régler le conflit , la commune achète alors ce qui va devenir la place du temple et servira de parc pour les charrettes .

Cette place , passage obligé des fidèles se rendant à l'église ou au temple , et bientôt d'une bonne partie des voyageurs arrivant ou allant à la gare , va devenir extrêmement commerçante . On y trouve 3 hôtels-restaurants , une bonne demi douzaine de cabaretiers exerçant aussi une autre profession : deux restaurateurs , deux boulangers , un boucher , un charcutier , un marchand de charbon , etc ...Ajoutons-y la gendarmerie et en juin 1921 le cinéma muet de Mr Janin situé au-dessus du garage , bien plus grand qu'aujourd'hui , de l'hôtel des Négociants . On y accédait par un escalier assez abrupt . Avec le concours parfois un peu trop exubérant des spectateurs , madame Marlin , au piano , assurait la sonorisation . Elle accompagnait les poursuites effrénées de Rintintin , le chien sauveur de la veuve et de l'orphelin , le pas martial de braves petits soldats ou les chastes baisers des amoureux .

LE MONUMENT AUX MORTS

Au nord du Temple , dans le square Chazallon , le monument aux morts de la guerre 1914-1918 réalisé par le sculpteur Vigouroux est inauguré le 10 juin 1923 avec le concours d'un général , du Préfet et du Sous-Préfet , députés , conseillers municipaux , la fanfare de Lamastre l'Espérance , les pupilles de la nation , les mutilés de guerre , les anciens combattants et une grande foule . On fait l'appel des 170 noms gravés sur le monument . Pour les 3 mois (6 juin au 9 septembre) de l'été 1944 on pourrait établir une liste d e50 noms , maquisards morts aux combats de la libération , décédés à l'hôpital des suites de leurs blessures , aviateurs canadiens et britanniques s'écrasant en nous parachutant des armes , et aussi des victimes des bombardements allemands , ou de causes en général inconnues .

REMI CHAZALLON (1802-1871)

Grand savant français né à Désaignes le 17 janvier 1802 , a découvert la façon de calculer les heures des marées pour tous les ports de l'Europe . député de l'Ardèche en 1848 . Partisan d'une école libre , c'est-à-dire totalement séparé du pouvoir des églises catholiques ou protestantes .

LE TRAIN

Après de longues études , cogitations et tractations , après de longues années de durs labeurs , de centaines d'ouvriers disposant seulement de mines , pelles et pioches , creusant des tunnels et construisant ces magnifiques murs de pierres , le train arrive à Lamastre .

Le 12 juillet 1891 , il entre en gare avec un flot de voyageurs exceptionnel : Monsieur le ministre des travaux publics en personne , des sénateurs , députés , Préfet , Sous-Préfet , présidents , procureurs , directeurs , ingénieurs en chef , rien que des messieurs dans des wagons spéciaux . Pour les recevoir , Monsieur le Maire et son Conseil , les pompiers en grande tenue , la fanfare de Lamastre et quelques gendarmes qui semblaient vouloir se cacher . Monsieur le Ministre ne semble pas content : aurait-on oubli" qu'un vrai ministre de la République a droit à une escorte règlementaire de 5 brigades de gendarme à cheval en grande tenue ? Y aurait-il ce qu'on appelle de l'orage dan l'air ? Vite , on forme le défilé avec le concours de plusieurs fanfares qui entraînent les officiels et la foule à travers les rues de Lamastre magnifiquement décorées .

Les discours ne vont pas tarder . C'est bien l'inauguration de la ligne . Ce sera aussi la fête populaire qui durera 3 jours avec ses banquets , bals , retraites aux flambeaux , ascension d'un ballon et d'animaux grotesques , illuminations (l'électricité n'existe pas) du château . Trois jours de fête qui vont coûter la somme de 5 092 francs (plusieurs dizaines de millions de nos centimes) .

Pendant près de 100 ans , ce modeste train à voie unique va faire de Lamastre un des plus importants marchés paysans du département et permettre l'exploitation et le développement d'une industrie jusqu'alors balbutiante .

Trafic de la gare en 1911 .

20 074 voyageurs , 14 683 animaux , 2 316 tonnes de châtaignes , pommes 660 , pommes de terre 900 , noix 145 , paille 1 625 , eaux minérales 84 , bois en grumes 39 tonnes , buttes 5 000 , bois de châtaignier 500 , bois de noyer 844 , bois de charpente 200 , planches 106 ...

De 1940 à 1944 , ce fut l'occupation allemande et parfois la famine pour les gens des ville s. Notre petit train fut un lien précieux entre les citadins et la campagne . Pas à pas , je vais essayer de retrouver quelques-uns de mes souvenirs de cette époque .

Nous étions fin juin 1940 . Dans les wagons à bestiaux , des hommes hâves , exténués , n'ayant pour certains pas même la force de se lever , entraient en gare . C'étaient des internés civils abandonnés par leurs gardes . Le train s'arrête donc près de la fontaine qui se trouvait sur le quai . Des déportés constatant qu'ils sont seuls descendent du wagon pour faire provision d'eau . Je suis à côté de la fontaine et remplis des bidons que l'on me tend de l'intérieur d'un wagon . C'est alors que des hommes en uniforme font irruption dans la gare et poussent les déportés dans les wagons , je crois que le train va partir et me tiens à côté du marchepied . De temps en temps , je peux m'écarter pour remplir un de ces bidons qu'un vieux rabbin me tend désespérément jusqu'au moment où je suis interpelé en allemand par un de ces galonnés . Je comprends et réponds : "Une minute , je finis de remplir le bidon ". Un moment plus tard , le train n'étant pas encore parti , je recommence et reçois alors avec une bordée d'injures , le plus resplendissant coup de pied au cul dont on puisse rêver .A ma réaction , mon vocabulaire et mes considérations , l'apprenti SS comprend alors que je ne suis peut-être pas un juif apatride . La foule habituelle des curieux s'est déjà groupée autour de nous prête à intervenir . Un autre groupe , parti en courant au marché aux fruits qui se tenait place du Temple , revient avec des cageots de cerises qu'il répartit dans les wagons . Geste que les garde-chiourmes ne pouvaient comprendre et les fit disparaître . Avais-je le droit de retrouver ce souvenir ?

En 1942 ou 1943 , les restrictions alimentaires dans les ville sévissent de plus en plus . Aussi de nombreux voyageurs débarquent à Lamastre pour repartir avec des pommes de terre , des châtaignes , parfois un peu de beurre ou un saucisson . Des gendarmes sont là pour saisir ces provisions chèrement acquises jusqu'au jour où ... Ce jour-là , ils avaient saisi les provisions acquises par un lamastrois père de famille très nombreuse établi dans la vallée du Rhône . Tout le monde ici le connaissait , mais ignorait ses talents d'orateur . Grimpé sur le marche-pied du wagon , il interpelait tantôt les gendarmes , tantôt les lamastrois , parlant de ses enfants , de l'impossibilité de les nourrir normalement . Devant ce flot de paroles , de cette fougue , de cette foule qui grondait , les gendarmes viennent s'excuser et lui rendent ses provisions . Au lieu de l'apaiser , ce geste augmente son courroux . Il n' y avait pas que ses enfants à lui , il y avait ceux de tous les autres parents pour qui ce n'était pas une partie de plaisir que de venir faire des kilomètres dans les fermes pour trouver un peu à manger .

Ce jour-là , les gendarmes n'eurent pas besoin de faire un compte-rendu de ce qu'ils avaient saisi . Ils surent faire le tri entre les trafiquants qu'il fallait arrêter et les chefs de famille contraints de se débrouiller .

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RIVE GAUCHE

Traversons maintenant le Doux sur le pont de tain . Nous sommes maintenant sur la rive gauche , mais toujours sur le territoire de l'ancienne commune de Macheville .

L'HOPITAL

Jusqu'à la fin du 19ème siècle , fonctionnait à Macheville , dans le prieuré , un hospice dirigé par les soeurs de Saint-Joseph . En 1892 , on y recensait 5 malades civils , 2 malades pensionnaires et 2 soeurs hospitalières . En 1895 , le Conseil municipal décide de construire rive gauche , au lieu dit la "Maisonnette" , un nouvel hospice de 24 lits . Le financement sera assuré par une subvention de 60 000 francs du Pari Mutuel et une souscription publique de 37 000 francs . L'adjudication des travaux est donnée en 1905 . La réalisation va montrer l'insuffisance du projet : cuisine et buanderie en sous-sol pratiquement sans lumière , sans aération et dans l'humidité , plafond sans planches et chambres des malades très froides . La question de la fermeture des arcades de la façade reste toujours posée et la galerie resta assez longtemps bien aérée .

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Il faudrait parler ici de l'action primordiale du docteur Elisée Charra , médecin chef , qui va totalement s'impliquer dans l'expansion et la modernisation, de l'hôpital , sans oublier le concours de Charles Desrois , secrétaire de mairie , qui a magistralement constitué les dossiers , en particulier les demandes de subventions . Malgré la guerre , lorsque Louis Antériou , ministre des pensions vient en septembre 1925 inaugurer l'hôpital , celui-ci dispose d'une salle de radiographie , d'un bloc opératoire et d'un service d'héliothérapie qui assurent la vie matérielle de cet établissement dont les 80 lits sont tous occupés .

Du discours du docteur Charra , je ne retiendrai que deux passages :

1) Le principe de l'hôpital gratuit pour les seuls indigents est périmé . La charité doit faire face à la solidarité .

2) Une grande partie de ce succès doit être attribué au travail intelligent et au dévouement des religieuses de Saint-Joseph .

Lors de l'insurrection Nationale , avant même le mois de juin 1944 , l'hôpital de Lamastre sous la responsabilité du docteur Charra et du futur professeur Trillat devient l'hôpital du maquis . A la fin de la guerre , le docteur Charra refuse la croix de la Légion d'Honneur et ce fils de l'institutrice de l'ancienne école protestante demande que cette haute distinction soit attribuée aux soeurs . Il est impossible de décorer un groupe ; finalement la supérieure , soeur Anselme accepte de recevoir la Légion d'Honneur au nom de toute la communauté .

En 1994 , l'hôpital comprend 149 lits (68 en soins médicaux , 81 en maison de retraite) et compte 86 salariés permanents (non compris les C.E.S.) dont 2 surveillantes , 9 infirmières , 1 kinésithérapeute et 1 ergothérapeute . Ajoutons les 6 médecins du canton , plus des médecins de l'extérieur assurant régulièrement les consultations spécialisées gastro-entéro , cardiologie et médecine interne .

Actuellement de gros travaux sont en cours joignant le service de médecine au service d'hébergement : administration , cuisines modernes , salle de kinésithérapie et d'ergothérapie , chambres individuelles pour l'hébergement seulement . Pas à pas , l'hôpital "Elisée Charra" fait lui aussi son chemin . Il faut espérer qu'il pourra encore continuer à le faire dans l'intérêt des habitants de l'identité géographique du Bassin du Doux .

SAINT-CIERGE

De l'autre côté de la rue Elisée Charra , le dénommé Adrien Fournier , président département de la Légion, , possédait un domaine de 20 hectares . Plus puissant que le Préfet , ce n'était qu'un misérable individu (ne craignant pas d'exercer le chantage le plus éhonté à l'encontre d'anciens combattants de Lamastre n'ayant pas adhéré à son organisation) et un personnage abject . Le 20 mars 1945 , en décidant d'acheter Saint-Cierge , le Conseil municipal dans sa délibération le présente ainsi : "Ex-maire de Lamastre nommé par Vichy , ancien chef départemental de la Légion , collaborateur notoire , auteur d'un rapport accablant sur un de nos meilleurs patriotes dont il provoqua l'arrestation ... promoteur zélé des départs en Allemagne ..."

Aucun étonnement si , au printemps 1944 , une équipe de F.T.P. réussit à introduire une bombe artisanale dans la façade de sa maison ; encore ceux-ci ignoraient-ils que Fournier invité le 23 mai 1943 à Vichy y déjeuna avec le Maréchal Pétain et son "excellent camarade Joseph Darnand" , chef national de la Milice qui avait prêté serment d'obéissance à Hitler .

En 1954 , une partie de Saint-Cierge étant viabilisée fut vendue en lots constructibles au prix de 500 francs (anciens)le m2 .

En 1960 , la maison de maître en mauvais état fut vendue à une association s'occupant des enfants en difficulté "les Oisillons" à laquelle a succédé "La Goutte d'eau" .

 

HOPITAL ELISEE CHARRA

AILE OUEST

On distingue bien les arcades de la façade maintenant fermées ,

les terrasses où les malades prenaient les bains de soleil .

A gauche , l'hébergement .

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