LE RETOURTOUR

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Jusqu'à la dernière guerre , pour les lamastrois , le Retourtour c'était là-bas , de l'autre côté du Doux sur un rocher , les ruines d'un vieux château féodal entourées de vieilles maisons et de quelques masures . Sous le vieux pont , un magnifique plan d'eau semblant creusé dans le roc . Sous le saule pleureur , une source où , avec un peu de chance et de patience , on pouvait recueillir de l'eau bien fraîche . En aval du pont , une lignée de pierres relevait un peu le niveau de cette piscine naturelle fréquentée en semaine par une dizaine de vacanciers tout au plus . Les copains entraient en usine à quatorze ans et ne disposaient pas toujours d'une bicyclette pour venir se baigner après le travail . J'oubliais : il y avait aussi une jeune fille qui se tenait un peu à l'écart , n'entrant jamais dans l'eau quand les garçons y étaient . Quelqu'un avait bien construit un plongeoir de fortune , mais ce n'était pas vraiment la foule .

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LE CHATEAU

Le cadastre de 1642 le décrit ainsi : "Un château composé de plusieurs membres ruinés et rompus ,scis et posé au lieu de Retourtour qui confronte de toutes parts avec les chemins et passages du dit lieu . Du côté du couchant , "chouernes" (que j'ai tendance à traduire bords caillouteux de la rivière où poussent les vernes) et marais du dit seigneur que autrefois soulait passer le Doux (traduisait : où autrefois devait passer le Doux) . Notons aussi la présence de "barryls" (murs fortifiés) et fossés ainsi que la petite église Saint-André au pied du village . Les barons de Retourtour étaient de très puissants seigneurs possédant de nombreux châteaux en Haut-Vivarais et en Velay . Le dernier de la famille appartenait à l'importante maison des Chalan , d'Aoste , en Italie et Savoie .

Au 15ème siècle , pendant les guerres civiles dites de religion , le château de Retourtour fut une place forte protestante . Le 13 décembre 1587 , Chatillon , fils de l'Amiral Coligny , battant retraite avec ses soldats à travers le Forez , vint y chercher refuge .

Sans remonter aux guerres du Moyen-Age , entre les barons de Lamastre et de Retourtour , les habitants de la rive gauche du doux se sentaient , peut-être encore au 18ème siècle , plus près de Vienne que de Valence .

Un des derniers cultes protestants de la région y fut célébré en 1683 .

En 1754 , "l'école" est obligatoire pour les fils des propriétaires . Les notables de Retourtour refusent d'envoyer leurs enfants à Macheville à cause des dangers qu'il y a à traverser le Doux , la Sumène et le Condoie pendant la mauvaise saison . Participant pour un cinquième aux dépenses communes de la paroisse de Macheville , ils proposent benoîtement que le précepteur de la jeunesse vienne exercer ses talents à retourtour pendant le cinquième de l'année , soit pendant deux mois et douze jours .

Au 18ème siècle , les notables de Retourtour refusent de participer aux réparations de l'église. Après plus de dix ans de délibérations négatives ou d'absences aux réunions communes avec le Savel et Macheville , ils sont bien obligés de voter la quote-part qui revient au village . On s'aperçoit alors que le Consul a "involontairement" oublié de demander aux autorités de la province l'autorisation préalable d'engager ces dépenses . A refaire .

HISTOIRE D'EAU

En 1946 , il y a encore dans un périmètre de 300 m autour des ruines une quinzaine de petits exploitants agricoles . A Retourtour même , sept vaches , une quarantaine de chèvres , pas d'eau dans les maisons . Les habitants se levaient de très bon matin, à 5 ou 6 heures pour aller remplir les seaux d'eau à deux sources , celle de Vabre à l'ouest et celle à proximité du pont . A 8 heures ou 9 heures , plus d'eau .Il faudra attendre le soir ou le lendemain .

Dans les années 50 , le maire de Lamastre fait venir un sourcier de Lyon qui trouve une nappe dans le meilleur pré du père Chantre . Connaissez-vous un paysan n'ayant pas d'eau ni besoin d'argent qui va vendre son pré ou sa source ? Le père Chantre ne vendra pas , il donne l'eau au village . On verra plus tard terre contre terre .

LA LEGENDE DES LONGS OS

Les travaux d'adduction d'eau vont bientôt commencer .Lorsque les ouvriers ouvrent la tranchée sur le terre-plein du château que les initiés appellent la "Place Rouge" , ils découvrent de nombreux ossements . Le chef des travaux m'a confirmé : "beaucoup d'os paraissant plus longs que d'habitude , mais pas un seul crâne . Les supputations vont bon train . A quelle race appartiennent-ils ? serait-ce les soldats protestants de Coligny venus se réfugier à retourtour pendant les guerres de Religion ? Va-t-on les enterrer au cimetière protestant des Dévières ou au cimetière catholique de Macheville ? Les plus frondeurs plaisantent : "A Macheville , ils ont les crânes , nous on a les tibias , il va falloir faire un musée ensemble .

Le Maire , médecin de son état , examine ces trouvailles et son diagnostic tombe : ce ne sont pas des protestants (adieu les Dévières) , ce ne sont pas des catholiques (adieu Macheville) . Mais alors qu'est-ce que c'est ? -"Ce sont des tibias de chevaux : ramassez proprement ces reliques dans une caisse convenable et allez enterrer le tout" .

LA METAMORPHOSE D'UN VILLAGE

Je ne sais quel service privadois a donné l'autorisation de construire un peu en amont une laiterie dont les rejets alors incontrôlés ne tardera pas à rendre notre joli plan d'eau impropre à la baignade . Il faut déménager .

En 1946 , le Conseil municipal décide d'aménager un peu en amont un barrage que l'on pourra enlever à la mauvaise saison . Ce nouveau plan d'eau mesurera 200 m de long et ses berges variées toujours au niveau de la rivière (plage de sable , rochers , prairies ombragées ou non) permettront de recevoir les familles comme les sportifs . Ce sera un grand succès .

A l'est du château , le long du ruisseau de Valoursier , la commune possède un terrain pratiquement sans valeur . En 1947 , les travaux exécutés avec le concours de René Perrier , directeur départemental des sports et qui a des attaches familiales au village , vont en faire un terrain de camping de qualité qui dès la première année fait le plein avec 48 tentes . Il faut aménager 3 autres camps qui bientôt n'en feront qu'un . Georges Colinelli participe grandement à ce succès , mettant ses pré à la disposition de la commune après la fenaison et rendant de nombreux services aux campeurs . Il crée à l'entrée du camp une épicerie , une pizzéria , un bar-tabac avec une agréable terrasse ombragée .

A proximité du pont , Robert Valla construit un agréable restaurant . La renommée de retourtour n'est plus à faire . Lyonnais , Stéphanois ou Marseillais viennent régulièrement chaque année . Les vieilles maisons du vieux village sont réhabilitées , réaménagées en gîtes ruraux ou en petits appartements loués à l'année .

LA CRUE DU 3 AOUT 1963

Ce fut une catastrophe . Le Doux commença à gronder au début de l'après-midi . Bientôt il passa sur le pont , 10 m au-dessus de son niveau habituel , le creusant comme une noix . Retrouvant son lit des temps oubliés , il fait le tour du village et saccagea la camping sous près de 2 m d'eau . Heureusement , les pompiers avaient pu faire évacuer à temps les campeurs et il n'y eut aucune victime à déplorer . Pour la saison 64 , tout était remis en état , y compris le vieux pont . Son nouveau tablier élargi par l'entreprise Sinz permettait maintenant l'accès des caravanes .

L'ELECTRICITE

Les Rochains se trouvent plus loin encore en amont de Retourtour . Mais c'est de là que viendra la lumière . Mr Menut , originaire d'Orfeuil , y exploite une carde et une filature de laine de pays . Il fait partie du groupe qui , en 1899 , achètera pour en faire le temple de l'église évangélique libre l'usine électrique inachevée du pont de Tain . Il va alors construire aux Rochains une petite centrale électrique qui pourra fonctionner grâce à la chute d'eau de la carde , puis avec l'énergie thermique en cas de besoin . Le 23 juillet 1903 , il signe avec la commune un contrat pour éclairer les rues de Lamastre avec 60 lampes de 16 "bougies" (16 W en bon français) . En 1913 , les lampes de 16 "bougies" sont remplacées par des lampes à filaments métalliques de 32 bougies dans les rues , de 50 bougies sur les places et même 100 bougies sur les pylônes situés au centre des places . Ce progrès pourrait indiquer la mise en service de la chaudière à vapeur de l'usine .

Février 1917 : Jules Menut cède son réseau à la Société des Forces Motrices du Vercors .

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USINE REYNE

Au 17ème siècle , le domaine d'Odon était limité par le Cros de Roche , le Doux aux confins de la Monde et la Sumène qui longeait le chemin du Cheylard . En 1670 , le sieur Vierne y exploite déjà un tissage d'organsin et des moulins à soie .

Sur la rive droite du Doux , à Retourtour , un très vieux moulin sera emporté par le Doux en 1875 . En 1886 , Mr Victor Reyne achète un moulinage à Odon au-dessus de la route . Il achète aussi à Boissy d'Anglas les droits d'eau du moulin disparu et prolonge la béalière jusqu'au moulinage . Il fait alors construire une filature de soie occupant 70 ouvrières et un moulin à farine . La région lui fournissait 50 à 60 000 kilos de cocons qui donnaient 4 à 5 000 kilos de soie expédiés à Lyon pour faire les beaux tissus de l'époque , taffetas ,faille , satin , etc ... ou à Saint-Etienne pour la fabrication des rubans . Les cocons étaient immergés dans des bassines d'eau bouillante chargée de dissoudre le grès qui agglutine le fil du cocon ; brossés pour obtenir le fil , puis filés dans d'autres bassines contenant de l'eau à 45° . Une surveillance constante était nécessaire et tout bavardage interdit , par contre les chants étaient autorisés .

Tout ce travail se faisait dans une atmosphère d'humidité chaude dégagée par l'eau en ébullition dans les bassines batteuses . L'odeur de la chrysalide au ver à soie choquait les visiteurs , mais devenait vite indifférente eux habituées .

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LE STADE DE RUGBY

Avant la fusion de 1799 des communes de la Mastre et de Retourtour , la frontière suivait le lit de la Sumène qui coulait alors au plus près du chemin du Cheylard . Le stade de rugby se trouve donc sur l'ancienne commune de Retourtour comme le sera toute la zone industrielle .

SOCOME

En 1956 , initiative hardie pour l'époque , la municipalité fait construire une usine qui sera louée à la société CARIBOU-BESSON . Celle-ci fabrique du matériel de camping et va péricliter rapidement . La sous-traitance apportée alors par un inconnu du nom de Trigano arrive trop tard ou ne convient pas à la commune qui décide de vendre .

La société SOCOME , matériel de soudage , va y fonctionner parfaitement jusqu'en 1975 , puis disparaître par lambeaux . Depuis l'usine a été partagée en plusieurs lots . On y trouve le gymnase principal , une fabrique de cercueils , un atelier de découpe de viande et divers entrepôts de matériels industriels et de produits alimentaires .

Un peu à l'écart , le stand d'entrainement de la société de Tir Sportif de Lamastre .

LE STADE DE FOOT

Un stade complémentaire vient d'être aménagé , mais j'ignore encore quelle sera son affectation définitive .

LA ZONE INDUSTRIELLE

La municipalité a confié au Syndicat Mixte d'Equipement de l'Ardèche la création d'une zone industrielle . Le pris de revient , 50 francs le m2 , est prohibitif alors qu'on trouve à Montélimar , à proximité de la voie ferrée , de l'autoroute et du Rhône , des lots à 20 francs le m2 . Je réussis , grâce à une subvention de la région et une participation municipale à ramener le prix de la zone industrielle à 25 francs le m2 . Le lendemain , l'entreprise Exbrayat qui allait quitter Lamastre faute d'espace achète un lot important et occupe aujourd'hui 40 hommes .

Malgré les embûches administratives de toutes sortes , la municipalité va construire , dans les délais brefs et convenus , une usine de chaussures destinée à la société BACOU . Cette efficacité va conduire Mr Bacou à confier à la commune de Lamastre la construction d'une seconde usine . Ces 3 usines devaient représenter à l'époque plus de 200 ouvriers .

Ajoutons-y les ateliers et les entrepôts réalisés par divers artisans : charpentier ,expéditeur de fruits , carrosserie , garage , scierie , entreprise de travaux publics , transformateur de 60 000 volts par EDF .

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