MANSUS CAVILIANUS
LE VIEUX VILLAGE
Entre Condoie et Grozon , au début du 19ème siècle , le village de Macheville avec son riche prieuré , sa vielle église , son petit cimetière et sa minuscule chapelle des Onze Mille Vierges , s'étirait depuis toujours tout au long du chemin allant de l'église à Saint-Basile par le rocher comme sur la crête d'un coq ou la lame d'un couteau . Que l'on se tourne du côté du Condoie et surtout du Grozon , on était au sommet d'un véritable précipice .
LE PRIEURE
C'est en 961 que Geslin , puissant seigneur du Valentinois , fit don au monastère de Saint-Chaffre (Monestier sur Gazeille en Haute-Loire) d'une église située en un lieu appelé Mansus Cavilianus ainsi que la paroisse . Sur la rive droite du Doux , cette paroisse s'étendait des berges du Condoie jusqu'à Monteil et Mas Eyraud . Il y ajoute le domaine de Canilis lequel ne saurait être Chamaud qui n'existait pas sur les vieux cadastres , mais bien , sur la rive gauche du Doux , du domaine de Chanaleille (Canilis) ou Chanareille s'étendant de Saint-Cierge au Chambon jusqu'aux cimes des Joberts . Ce texte est un des rares dont on puisse douter de l'authenticité .Il s'agit du résumé personnel de l'acte de naissance du prieuré extrait du Cartulaire de Saint-Chaffre , traduit et publié en entier par le chanoine Ulysse Chevalier .
Le prieuré n'est pas un édifice religieux . C'est au 18ème siècle la demeure du prieur et de son personnel , un caravansérail , un grand entrepôt où les muletiers apportaient le produit des dîmes et des rentes seigneuriales dues d'abord au monastère de Saint-Chaffre , puis aux Jésuites du Puy . On y trouvait aussi des bureaux , un tribunal , une prison , une magnanerie , un colombier , une safranerie , c'est-à-dire un grand jardin où l'on cultivait un crocus dont le pistil servait à fabriquer le safran . Des anciennes constructions , il reste encore des vestiges remarquables : une cheminée monumentale , des celliers ... Dans un angle de la cour , une élégante porte du 15ème siècle surmontée d'un arc en accolade , avec meurtrières et machicoulis , donne accès à un ancien escalier à vis . A l'extérieur , une tour démantelée récemment remise en état .
Mon propos n'est pas d'écrire l'histoire de Macheville . Je relèverai cependant quelques dates certaines de la vie du prieuré et de l'église : 1382 ,1520 ,1562 , 1637 , 1790 , 1683 et 1870 .
1382
Union du prieuré de Veyrines , sur la commune de Saint-Symphorien de Mahun , près de Satilleu , au prieuré de Macheville . Les paroisses de Lalouvesc et saint-Pierre des macchabées dépendaient de Veyrines . Celles de Macheville , Colombier-le-Jeune , Saint-Didier (Alboussière) , Saint-Barthélémy-le-Pin et Saint-Basile dépendaient du prieuré de Macheville . Un document de 1516 nous fait connaître l'organisation du prieuré de la seule paroisse de Macheville , c'est-à-dire Macheville , le Savel la Mastre , Monteil et Retourtour . Nous relevons la présence d'un sacristain , d'un curé , d'un vicaire et des recteurs de 14 chapelles dont les chapelles de Sainte-Agathe sous le vieux village de Mastre et de la chapelle des Onze Mille Vierges (vulgairement des saintes Osches) au-dessus de l'ossuaire du cimetière de Macheville .
1520
Dans un texte de la revue du Vivarais , page 132 , Histoire de Veyrines , j'ai relevé les activités rémunératrices du "Révérend Père en Dieu , Monsieur Antoine d'Estaing , évêque d'Angoulême , doyen de Notre-dame de Actobrac et de Saint-Jean de Lyon , prieur du prieuré de saint6donyn de Macheville , diocèse de Valence et du prieuré de Veyrines , diocèse de Vienne " . En 1526 , un autre d'Estaing est à la fois protonotaire du Pape à Toulouse et prieur de Macheville . Jusqu'à leur attribution en 1600 aux Jésuites du Puy , ces 2 prieurés "resteront l'apanage de quelques grands personnages proches parents des abbés de Saint-Chaffre qui s'occuperont dès lors de ces fiefs dus à leurs hautes relations plus qu'à leur mérite , uniquement pour en récupérer les revenus par l'intermédiaire de leurs officiers" . Jusqu'en 1600 , ces hauts seigneurs et prieurs ne mettaient jamais les pieds dans leurs prieurés . Cette situation sera une des causes du succès de la Réforme .
1562
Le diacre André Ducros est nommé pasteur protestant de Macheville . De 1562 à 1594 , contrairement au Savel la Mastre et à Retourtour , aucun texte ne concerne les guerres de religion à Macheville .
1600
Le prieuré de Macheville est enlevé aux Dominicains de saint6chaffre pour être donné aux Jésuites du Puy qui utiliseront ses revenus à l'entretien d'un collège .
1637
En application d'un article de l'Edit de Nantes de 1598 , les protestants acceptent de ne plus enterrer leurs morts dans le cimetière de l'église de Macheville .
1789
Les notables ont été convoqués par le roi Louis XVI pour participer aux Etats Généraux . Le peuple , "disons les bourgeois et les avocats" , a pris le pouvoir . Bientôt ce sera la guerre , l'arrestation du roi , sa condamnation à mort . Les députés décident la nationalisation des biens du clergé . Ce sera d'abord l'inventaire , puis la vente aux enchères de tout ce que possèdent le prieuré , l'église , les chapelles et les soeurs . Deux exemples : Françoise Peyron achète deux maisons appartenant aux chapelles de Notre-Dame de Piété et des Onze Mille Vierges pour le prix de 510 francs . Julien Traversier achète le prieuré et tous les biens qui en dépendent pour 37 729 francs . Il revend le bâtiment en 1820 à Romain Bancel . La veuve de ce dernier en fera don aux Soeurs de Saint-Joseph qui le possèdent encore . C'est aujourd'hui l'école catholique de filles .
LA LEGENDE DES SAINTS OS
Dans la chapelle des Onze Mille Vierges , vulgo des Saintes Osches , située dans l'ancien cimetière , nous pouvons voir un tableau qui n'existait pas lors de l'inventaire de 1791 . Ce tableau , venu d'on ne sait où , représente sept prêtres revêtus de la palme du martyre et de l'auréole des saints dont nous ignorons en fait qui ils sont .
En 1863 , le vénérable archiprêtre Le Masson , curé de Macheville , sera la victime de la part de Fernand Rouveyrol de l'Hôtel du Midi , d'une inacceptable plaisanterie du plus mauvais goût ou d'une machiavélique manipulation tendant à faire de Lamastre dans la vallée le concurrent touristique de Lalouvesc . Celui-ci en effet , s'il n'est pas un simple prête-nom , lui écrit que c'est par le plus grand des hasards qu'il a trouvé (et il sera le seul) à la Bibliothèque Nationale de Paris le récit du massacre de plusieurs religieux à Macheville en 1587 . Dans la deuxième partie , Rouveyrol invite le curé à faire rechercher 7 crânes dans le cimetière sous la chapelle des saints Osches . On va chercher et trouver . A sept , le compte est bon et on arrête . Monseigneur Louis , évêque de Viviers , invite le curé à conserver précieusement ces vénérables reliques sans les exposer au culte et il répète : en ne leur rendant aucun culte public .
Si le récit est un faux , les crânes existent et lors de leur découverte de nombreux paroissiens de Macheville ont eu le coeur plein de joie . Je me pose néanmoins 3 questions :
-comment en 1863 , les lamastrois ont-ils pu dater ces reliques de 1587 ?
-si ces crânes ont bien été conservés , ne pourrait -on pas aujourd'hui utiliser des méthodes de datation certaine ? Ne serait-ce que le carbone 14 ?
-les protestants ayant été enterrés dans l'unique cimetière de Macheville pendant 75 ans , de 1562 à 1637 , comment a-t-on pu 250 ans plus tard reconnaître si ces crânes étaient catholiques , protestants ou un mélange des deux ?
L'EGLISE
Il ne faut pas confondre l'église et la prieuré , pas plus que l'employé et le patron . L'église de Lamastre est bien située à Macheville , à côté du prieuré bénédictin , mais elle existait avant lui , puisque c'est en 961 que le comte Gelin en fait cadeau au monastère de saint-Chaffre . Le prieuré possèdera seulement le tiers de la commune ; la paroisse couvrira au moins toute la superficie de la commune .
Le véritable nom de cette église était à l'origine celui de Notre Seigneur Sauveur (Domini Salvatiris Nostri) . Ce sont les bénédictins de Saint-Chaffre qui lui donnèrent plus tard le nom de Saint-Dominin .Il ne reste rien de la première église . Pour celle du 12ème siècle , il est encore possible de voir la corniche reposant sur de petits monillons et la grande fenêtre du choeur qui s'ouvre sur les premiers rayons du soleil .Elle est en plein cintre à arc de couvrement polybé soutenu de part et d'autre par deux colonnes adossées .
Curieusement , la période des guerres de religion ne sera pas celle où le bâtiment aura souffert le plus . En 1603 , 5 ans seulement après la signature de l'Edit de Nantes , Monseigneur l'Evêque de valence se contente de demander la restauration de la nef . Ce qui n'est déjà pas mal , mais on verra mieux , ou pire , au 18ème siècle .
Pendant la révolution de 89 , les chapelles sont dévastées , les croix et objets du culte envoyés à la fonte à Tournon , les dalles de l'église enlevées , les tombeaux qui s'y trouvaient récurés pour en extraire le salpêtre indispensable à la fabrication de la poudre à canon ; l'atelier de lessivage du salpêtre était installé dans l'église . En 1794 , le Conseil municipal présidé par Du Besset , établit à 90 francs le montant des dépenses indispensables à la restauration de l'église . Un véritable miracle . En 1814 , le grand souci des notables est de fixer l'heure des messes ou de se disputer avec le curé pour avoir "une place très distinguée et très avantageusement située" à proximité du prédicateur . En 1820 , les yeux se dessillent . A la demande , il est vrai , du Préfet , un nouveau devis fort différent de celui de 1794 , est réalisé . Le montant des travaux à exécuter pour l'église se monte à 2 120 francs : en particulier 2 000 tuiles , 60 poutres , la toiture du clocher à refaire à neuf , le pavé de l'église , dérangé pendant la révolution pour extraire le salpêtre , à réparer , etc ...
En 1866 , le Conseil municipal constate que "depuis des années l'agrandissement de l'église est devenu urgent , attendu que pendant les offices du dimanche un grand nombre de paroissiens n'y pouvant trouver place sont forcés de stationner à la porte ou sur la place à la merci du temps ". Les travaux d'agrandissemnent qui se montent à 32 304 francs vont bientôt permettre de doubler la superficie de l'espace utile , les nouveaux éléments s'harmonisent de façon correcte avec les murs de la vielle église ; je regrette cependant la disparition de la vieille porte romane de l'église antérieure .
LA VIEILLE ROUTE DE TOURNON
Il s'agissait d'un embrachement de la vieille route n°1 d'Annonay à Barjac par Lamastre . Cette route prenait donc naissance au pont de Laye sur le Grozon , traversait ce qui est maintenant le collège et montait jusqu'à l'église . Certains l'ont appelée chemin des martyrs . J'ai cherché quels pouvaient être ces martyrs . S'agit-il au 18ème siècle des protestants en route pour les galères ou simplement de l'assassinat en 1739 du pasteur du désert Morel Duvernet en route pour le bûcher .
En 1720 , la terrible peste de Marseille avait été arrêtée sur la ligne des soldats passant au sud de Macheville et de Désaignes . D'où , chaque 3 mai , la grande procession commune des fidèles de Désaignes descendant ensemble cette vieille route d'Annonay pour remonter ensuite à Macheville par la rue des écoles . Après la messe , tout cela se répandait dans la ville où l'on fraternisait dans les cabarets . Quand les pélerins devaient regagner Désaignes , il en manquait plusieurs à l'appel . Les inconvénients devinrent tels du point de vue des moeurs que les clergés des deux paroisses s'entendirent pour supprimer cette procession (Seignobos , également Du Besset). De là à en faire des martyrs , il y a un pas difficile à franchir .
Ce titre ne peut être attribué aux sept crânes découverts en 1863 dans l'ossuaire de Macheville , l'Evêque de Viviers en ayant interdit tout culte public . Alors , initiative privée comme celle qui conduit certains lamastrois à appeler ce chemin rue Maurice Arsac .
Maurice Arsac
Maurice Arsac , excellent contremaître en bijouterie exerçant son métier à Saint-Martin de Valamas , vient rejoindre Victor Descours à Lamastre . Tous deux seront élus ensemble aux élections municipales de 1935 . Vers 1943 ou 1944 , Mr Arsac sera nommé maire de Lamastre . Depuis qu'il y a un hôpital , le maire en est président du Conseil d'administration . A cette époque , il n'y a pas de directeur autre que le maire . L'attitude et l'action de Maurice Arsac furent irréprochables dans la direction d'un hôpital qui recevait clandestinement les maquisards blessés venus d'une grande partie de l'Ardèche et de la Drôme , fournissant même à ceux qui avaient tout perdu des vêtements décents . Après la Libération , soeur Anselme fut décorée de l'Ordre de la Légion d'Honneur , la route de Valence reçut le nom de Victor Descours . Mr Maurice Arsac avait été tué la nuit du 6 juin 1944 par on ne sait qui .
LA ROUTE DE LA CHIROUZE
A l'autre extrémité de la rue de Macheville , la route de la Chirouze est à la fois l'ancienne route de Valence et l'ancienne route de Vernoux . A la Chirouze , autrefois colonie de vacances , notre ami Jojo , traiteur réputé , reçoit noces et banquets . Plus loin , la vieille maison forte de la garde a vu naître Désiré Bancel . Si les propriétaires sont présents , nous pourrons leur demander de nous montrer la curieuse voûte à phonolytes creuses (en fait , de petites buses en grès) de la chapelle . Après la garde , la route se partage en deux voies , l'une va vers Valence et l'autre à Vernoux .
LE CHAREYRON
Etroit sentier piétonnier qui permettait d'aller de l'église au château de Mastre et dont il ne subsiste qu'un passage longeant le parc Seignobos et les escaliers plongeant sur le Condoie .
LA MONTEE DES ECOLES
Ancienne route de Valence passant par Macheville . Nous y trouverons les écoles laïques construites vers 1880 , la crêche et les salles affectées à la fanfare . On nous a dit que cette société avait été créée vers 1880 . En réalité , la Fanfare du Doux (président Fernand Rouveyrol , chef de musique l'abbé Tartary) exerçait déjà ses talents lors du comice agricole de 1860 .
PARC SEIGNOBOS
Entre la route de Macheville , le Chareyron (y compris l'espace descendant à Condoie) , le Condoie et la rue Désiré Bancel , nous aurions trouvé avant 1840 un grand parc appartenant à la famille Seignobos . La construction de la route de Vernoux va en détacher une large bande bordant le Condoie sur laquelle se trouve , entre autres , la perception. Dès le début de ce siècle , les Seignobos ouvrent au public pendant la journée ce parc aux arbres rares et magnifiques .En 1907 , la plus ancienne association sportive de Lamastre , le Sporting Club , y aménage un terrain de tennis en terre battue géré aujourd'hui par le Tennis-Club . En 1942 , Charles Seignobos fait don de son parc à la commune . C'est alors que le buste en bronze de son père est vendu aux allemands . Il y a des coïncidences qui font mal .
Après la libération , le corps de Charles Seignobos , historien , a été enterré chez lui , dans un pré aux Rochains .
Testament de Charles Seignobos :
Ceci est ma dernière volonté . Je lègue à la commune de Lamastre un jardin dit "Parc Seignobos" à condition qu'il reste entièrement public et qu'il n'y soit construit aucun immeuble et que les arbres soient conservés et les bosquets restent intacts . Dans le cas où les clauses ne seraient pas respectées ou bien si la commune n'entrait pas en possession de ce legs , le parc reviendrait à mon héritière qui est chargée de veiller à l'exécution de ces clauses .
LES NOUVELLES ROUTES
Vers 1840 , les mines tonnent à Lamastre . On va abandonner les vieilles routes de Valence et de Vernoux qui passaient par la Chirouze . La route de Vernoux va suivre jusqu'au bout la vallée du Condoie pour aboutir près du pont Désiré Bancel . C'est sur cette route que mon arrière-grand-père Jean-Paul Soubeyrand va faire construire un moulin à farine et à huile au lieu dit la Côte de Vachier , connu aujourd'hui sous le nom de Mariguet .
La nouvelle route de Valence va suivre les rives du Grozon pour rejoindre Lamastre sur la place du Temple . C'est sur cette route que messieurs Victor Descours et Maurice Arsac vont faire construire ce que les lamastrois appelleront l'usine de "chaînes" . En fait , 70 ouvrières et ouvriers s'affaireront à fabriquer des bijoux , légères chaînes en or ou en plaqué , bracelets et médailles religieuses .
Après le décès des fondateurs , l'usine devint d'abord un cours d'enseignement ménager , rebaptisé aujourd'hui L.E.P.A.P. .
Victor Descours (1880-1957)
Fils d'un autre Victor Descours , lui-même conseiller municipal , adversaire politique acharné du sectionnement et de Seignobos au 19ème siècle .
Succédant à son père , il est élu maire en 1929 et 1935 . Pour lutter contre le chômage , il a fait réaliser la place Pradon et construire l'Hôtel de Ville en 1933 .
Nommé maire par Pétain le 4 mai 1941 , il démissionne le 2 août 1942 par cette lettre au Préfet : "Pour défendre les intérêts dont la charge m'est venue de la confiance de mes concitoyens ... mes innombrables démarches ... le plus souvent se sont heurtées à l'incompréhension des Services de la Préfecture , c'est pourquoi , avec la conscience du service accompli jusqu'à la limite de mes forces , j'ai l'honneur de vous adresser ma démission de Maire de Lamastre .