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Une rue noire de monde !
Le 30 octobre 2025 restera dans les mémoires des Lamastrois et des nombreux autres participants de tous bords et de tous horizons qui ont adhéré à cette démarche,
Cette journée mémorielle était axée sur les événements dramatiques qui avaient frappés les juifs réfugiés à Lamastre pendant la période pétainiste sous occupation allemande de 1940 à 44,
Ce fut une journée complète avec sa part cérémoniale et émotionnelle, sa part conviviale, sa part explicative des traces de cette période aux travers d’une déambulation dans Lamastre, sa part didactique avec la conférence passionnante et de haut niveau de Frédéric Sallée, professeur agrégé d’histoire spécialiste de cette période et pour finir avec le film mémoire de Louis Malle «au revoir les enfants » choisi par Écran Village,
Le déroulé de la journée a été une réussite grâce une implication totale de tous les intervenants; votre serviteur Raymond Bouit en tant qu’initiateur et coordonnateur, la Mairie autour du Maire JP Vallon, les élus, les personnels municipaux qui tous ont coopéré pour permettre une logistique parfaite.
Le soutien actif de nombreuses associations: la Fanfare, l’Université Populaire du Vivarais, Ensemble & Solidaires, la bibliothèque, le Cinéma Écran Village, l’ANACR , la Fédération des Œuvres Laïques, l’association La Vanaude, Rochepaule pour Mémoire, les anciens combattants, a permis une mobilisation majeure, la commune de Vernoux était représentée, tout cet engouement autour du thème a fait que la rue du Savel où avait lieu le dévoilement de la plaque était une « rue noire de monde » , Trois cents personnes d’après les organisateurs , 296 d’après les 4 gendarmes présents.
Le rendez vous était fixé à la Mairie à 11 heures.

Pour ensuite se rendre dans la rue du Savel qui avait été choisie collégialement pour accueillir la plaque,
La Fanfare de Lamastre était déjà en place,

L’honneur m’incombait de prononcer le mot d’accueil qui avait pour mission de remémorer le contexte historique de l’époque et le plus simple passe par la mise en ligne en intégralité de mon discours.

« Cette cérémonie s’est mise en place à l’initiative de 3 familles juives touchées dans leur chair par la barbarie nazie relayée par le gouvernement de Vichy.
Nos premiers contacts date de 2021 par l’intermédiaire de Michel Aguettaz et de Benoit Falaize qu’il convient tous deux de remercier. Cette cérémonie partait au départ pour être intimiste et presque familiale, de ce point de vue nous sommes dépassés, c’est déjà une réussite…
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Entre 1940 et 1944 de nombreuses familles juives avaient trouvé refuge à Lamastre.
Pourquoi Lamastre ? d’abord parce qu’en 40 Lamastre était encore dans la zone non occupée directement par les allemands, donc réputée moins contrainte; ensuite le relief y est montagneux et à l’écart de l’axe rhodanien, ces deux éléments formaient des facteurs géographiques apportant une possible quiétude.
D’autres éléments peuvent expliquer le choix des familles, la région de Lamastre vivait , comme une partie importante de l’Ardèche, de la Drome, du plateau du Chambon sur Lignon, et des Cévennes dans un environnement socio culturel et cultuel fait d’un pluralisme ancien. La réforme protestante s’était implantée très tôt dans nos régions, avec toutes les vicissitudes vécues pendant les guerres de religions, les accalmies relatives avec l’édit de tolérance, dit édit de Nantes(1598), suivi de sa raréfaction comme une peau de chagrin pour aboutir à sa révocation complète.(1685). C’était alors le temps des sujets « nouveaux convertis » qui étaient très suspects de pratiquer sous le manteau leur foi épurée, témoin de leur résistance. Les deux communautés vivaient cote à cote sur le même territoire en échangeant matériellement, sans complètement vivre ensemble. Puis vint l’apaisement avec la liberté de conscience actée par la Révolution Française et sa déclaration des droits de l’homme en 1789, complété par Bonaparte avec les concordats d’abord avec l’église catholique, puis en 1802 avec les protestants et en 1808 avec les juifs qui tous ensembles depuis ces dates pouvaient vivre officiellement leur religion en France.
La réforme s’étant installée en Ardèche au seizième siècle cela faisait 400 ans de cohabitation religieuse parfois difficile et conflictuelle sur le terrain. En 1940 cela faisait donc 140 ans qu’à Lamastre et ailleurs les protestants pouvaient vivre sans se cacher, et donc vivre ensembles avec les catholiques. C’est ce pluralisme religieux historique qui a permis aux juifs de trouver une terre de refuge au moment de l’édiction des lois anti juives promulguée dès 1940. Les catholiques y avaient pris l’habitude de partager leur dieu et les protestants retrouvaient dans ces juifs stigmatisés leur propre histoire.
Le Dr Elisée Charra à Lamastre et l’Hôtel Ranc à Désaignes étaient les réceptionnistes privilégiés des juifs arrivant sans contacts ciblés.
A Lamastre la vie sous l’occupation se déroulait avec son cortège de privations, de pénurie, de souffrances , mais la vie continuait, des résistants et de nombreux réfractaires au STO venaient se ravitailler discrètement, les enfants juifs étaient scolarisés à l’école « de la république » et jouaient dans les rues, des parents travaillaient pour subvenir aux besoins, un mariage dans la communauté juive avait même été célébré en mairie le 25 août 43, l’acte officiel fait toujours parti des archives.
Le premier drame de cette période à Lamastre se déroule le 29 novembre 43 date de l’arrestation de madame Yvonne Wertheimer, qui mourra en déportation. Mais ce drame déclencha instantanément une chaîne de solidarité et de courage puisque les deux enfants Wertheimer sont exfiltrés de l’école avec la bienveillance des instits,dont Mme Mazabrard, emmené en vélo à Lapras, par Guy Durrenmatt et Paul Masse, chez Charles Saignol, puis chez Roger Dumas au Cros de Mazoyer. Détail émouvant des membres des familles Durremmatt sont dans l’assistance aujourd’hui et vont rencontrer la famille Wertheimer,
Le deuxième drame se joue le 13 avril 44 , date d’une rafle orchestrée par le préfet de l’Ardèche. Cette rafle débute par Vernoux et emmène 11 personnes puis se poursuit à Lamastre où sont arrêtés de nombreux juifs et des agents de liaison du maquis, et là aussi la solidarité par la population et la résistance locale joue à fond et permet de sauver les juifs qui ont échappés à la rafle, parmi eux Nanette Kauffman et Francine Maous, enfants à l’époque, et qui sont à l’origine de cette célébration.
Ces deux drames mettent en évidence la fragilité des équilibres de l’époque. Les 5 noms gravés sur la plaque seront là pour nous le rappeler.
Cette cérémonie revêt deux aspects, celui du travail de mémoire et de deuil des familles dont les membres disparus n’ont pas eu de sépulture ni de cérémonie dédiée, mais aussi une volonté de remercier tous les acteurs connus ou inconnus, tous décédés maintenant, de ces sauvetages, image d’un esprit de résistance, résistance discrète, résistance de tous les jours, résistance des nombreux réfractaires au STO qui seront le vivier de la résistance active, mais résistance populaire qui ont écrit en lettres d’or les pages de l’honneur de la cité.
En plus des 3 familles Maous Kauffmann et Wertheimer qui apparaissent sur l’invitation 3 autres familles Picard, Klein et Hirsch sont représentées pour cette célébration, preuve que le souvenir perdure.
Le souvenir perdure aussi dans la population, je vois dans cette rue, que la tradition locale appelle rue Noire, du fait de son étroitesse, de nombreux descendants des acteurs de l’époque, je ne les cite pas tous car j’en oublierai forcément, il y a les descendants de trois médailles des justes, que je ne peux m’empêcher de nommer Rosa Ranc, Noémie et Émile Mandon, des descendants des chefs de la résistance locale, des résistants de l’AS et des FTP, des maires dont les communes voisines ont accueillis la résistance, l’association de mémoire de Rochepaule où 2 maquis avaient souffert d’attaques des miliciens, nous pourrons tous échanger au pot d’honneur offert par la municipalité qui suivra la cérémonie.
Je veux aussi dire que Lamastre a continué sa tradition d’accueil.
Au moment du génocide cambodgien en 1977 la commune de Lamastre dirigée par Paul Bouit avait répondu présente à la demande du gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing pour accueillir des réfugiés, Bernard Schwilden directeur de Bacou avait proposé 5 postes dans son usine, ce qui avait permis d’accueillir 5 familles, l’Église Évangélique était très impliquée et cette insertion avait été une réussite, une famille a fait souche à Lamastre, et M Chek est présent au coté de Bernard Schwilden. Depuis quelques années maintenant c’est une association intitulée « accueil migrants de la vallée du Doux » , dont la création revient à l’initiative les églises catholiques et protestantes, qui œuvre dans ce registre caritatif, de nombreuses nationalités ont été intégrées : arménien, kosovar, tchadien, sri lankais, congolais, colombien, pakistanais, l’association est représentée aussi aujourd’hui,
On peut dire « la vie continue à Lamastre »
Une précision s’impose: pourquoi la rue du Savel ? , lorsque nous avons discuté de l’emplacement 2 sites avaient été pressentis, la route de Vernoux où étaient réunies les familles au moment de la rafle et la rue du Savel où les enfants avaient l’habitude de jouer, pour des raisons de facilité c’est la rue du Savel qui a été choisie.
Après cette introduction en forme de rappel historique je vais laisser place à la cérémonie.
C’est la Fanfare de Lamastre qui va nous accompagner comme historiquement elle a accompagné les événements marquants et exaltants de la Libération de Lamastre,
Sans paraphraser De Gaulle je peux dire que Lamastre s’était «libérée par elle même et par les siens» , dès l’annonce du débarquement du 6 juin le comité de libération se dévoilait et prenait le pouvoir sous la direction de Paul Bruas, organisait une cérémonie le 11 juin à la mairie et sur la place de la République avec la Fanfare. La Fanfare était aussi présente aux obsèques cérémoniales en mairie et au Temple des 7 aviateurs anglo canadiens morts dans l’accident de leur avion halifax lors d’un parachutage le 27 juin 44; une précision s’impose Lamastre était libérée mais les allemands étaient toujours présents à Tournon Valence Annonay, Privas,
Et notre fanfare jouait sa partition à Lamastre !!! »
C’est par « la marche du soldat » que notre fanfare ouvre le ban.
Puis débute un moment fort avec les témoignages de témoins de l’époque, pour Lamastre Marinette Castex , Colette Therme et la fille de guy durenmatt qui a lu les mémoires de son père Guy, relatées dans son livre « Faim de Liberté »



Pour les familles les deux rescapées de la rafle Nanette et Francine, aux souvenirs intacts, ont raconté l’horreur indicible de l’action des miliciens et des soldats de la gestapo, Philippe Wertheimer n’a pas pu s’exprimer tant l’émotion l’a étreint au moment de son intervention.



L’Association Nationale de Anciens Combattants et Amis de la Résistance par la voix d’Eliane Mazet sa vice présidente départementale est intervenue pour dire que l’action de son association veille a maintenir les principes de liberté et de laïcité qui doivent prévaloir pour l’équilibre commun et éviter que les erreurs de l’histoire se répètent, la Fanfare l’a accompagnée avec le chant des partisans.

Puis ce fut le moment solennel dirigé par le Maire JP Vallon du dévoilement de la plaque. Plaque sobre dont le texte a été écrit par les familles.

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Moment solennel avec minute de silence, sonnerie aux morts et Marseillaise résonnant dans cette rue étroite avec les familles et un public figés par l’émotion.

La fanfare avait choisi de clore la cérémonie par l’interprétation de « Nuits et Brouillard » de Jean Tenenbaum une mélodie douce qui a permis de faire redescendre la pression émotionnelle de tous.
Le pot de l’amitié qui a suivi offert par la municipalité a permis à tous d’échanger, il fera l’objet comme la déambulation découverte dans Lamastre et la conférence de Fréderic Sallée d’articles dédiés à venir.
Une cérémonie mémorielle et mémorable que j’espère, que nous espérons, porteuse d’espoir, espoir que connaitre l’histoire et ses errements puisse éviter que ceux ci se répètent.
Malheureusement l’antijudaïsme renait, avec tous les formes d’antisémitismes que cela entraine; antisémitisme au sens étymologique du terme sémite qui vise les juifs, les arabo-musulmans et va de pair avec le racisme tous azimuts dont les nombreux conflits de part de le monde nous assaillent. Ces pensées étaient le moteur de mon engagement tout au long de la préparation de cette journée de mémoire qui avait débuté en 2021.
Souvenons nous, réfléchissons et réagissons.
Raymond Bouit, octobre 2025.















